LE GROS
Nouvelle Révolution
LE PETIT
Encore travailler ?!
LE MOYEN
Le travail disparait. Profitons-en !
Chaque semaine, une page choisie dans « Nouvelle Révolution »
sans rapport avec le blog de la semaine
Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
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12.8. Les objets
J’ai déjà parlé des objets dans la section « Le travail » au chapitre « Le nouveau travail ». J’y écrivais que « Les peintres sur frigo ou sur voiture exerceront une activité à la limite du travail, tellement ils seront demandés. » J’ai écrit sur l’histoire des objets, qui est en un sens parallèle à celle des humains, la conscience mise à part, dans la section « Les rôles ». Je préciserai ici quelques autres éléments ayant rapport aux objets.
Des objets décorés
Dans le monde futur, ce sera la décoration universelle, non obligatoire bien sûr. Tous les objets seront décorés : voitures, frigidaires, machines à laver, maisons, ordinateurs, vêtements, etc. Non seulement décorés, mais auront aussi des formes et des couleurs originales. Finis les appareils électroménagers et les motorhomes blancs !
Dialectique de l’individuel et du collectif
La décoration d’un objet doit être idéalement conçue ou créée par son possesseur. Elle ne devrait pas être créée par le producteur. Si le producteur, distributeur ou vendeur décore l’objet « à sa façon », en y introduisant sa créativité personnelle, ce pourra être ressenti par le possesseur comme une agression. Moins s’il a le choix entre plusieurs possibilités. Comme si une autre personnalité voulait prendre sa place ou prendre une emprise sur la sienne. C’est exactement ce qui se passe pour les œuvres d’art public dans les villes. Les citadins ont l’impression qu’une personnalité unique veut s’imposer au détriment de la collectivité, ce qui est ressenti comme une agression.
Une médiation agréablement signifiante entre l’individuel et le collectif est le style. Comme pour les vêtements, une unité dans la diversité ou une diversité dans l’unité est perçue comme créatrice d’identité collective. Il faudrait trouver un style commun et reconnaissable de décoration, qui pourrait être basé sur des motifs ethniques, des enluminures de vieux manuscrits ou des broderies scandinaves ou d’Europe de l’Est.
[…]
Un style existant
Il existe un style de décoration qui répond au critère de « folklorité », c’est- à-dire dont la forme est identique, dont le fond emprunte à un répertoire limité de sujets mais pouvant donner une infinité de combinaisons et dont les auteurs restent anonymes. Ce sont les peintures, toujours faites à l’aérographe, que l’on trouve surtout sur les camions ou les motos, représentant des indiens avec leur coiffe à plumes ou des Navajos, l’aigle américain, des loups hurlant à la lune, des déesses bénéfiques ou maléfiques, des paysages lunaires ou martiens. De nouveau, on ne peut qu’admirer la cohérence et la vitalité de la culture populaire. Chaque œuvre est unique, réalisée à la demande du propriétaire du véhicule, on peut même sortir sans problème du répertoire traditionnel, pourtant le style est reconnaissable et il y a même souvent un contenu poétique et spirituel sous-jacent !
Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
12.2. Les fêtes
12.2.6. La Fête des Associations
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La fête la plus caractéristique du monde futur sera la Fête des associations. Chaque année, toutes les associations d’une zone territoriale défileront, chacune avec leur drapeau, leur costume d’apparat et éventuellement des objets représentant leur spécialité. Le cortège sera composé comme suit. D’abord le drapeau du territoire concerné, ville, quartier, village ou zone rurale. S’il y en a plusieurs associés, tous les drapeaux seront présents. Ensuite il y aura les représentants des trois cultures, chacun avec leur costume caractéristique permettant de les reconnaître. Puis les personnes qui se dévouent pour la gestion « politique », à propos desquelles il faut remarquer qu’actuellement, dans des manifestations de ce genre, elles paradent en tête. Et après, c’est le gros du cortège avec soit des représentants des associations, soit tous leurs membres, selon les modalités de l’organisation locale et le type d’association.
Une fanfare devra précéder le cortège, une autre pourra le clôturer. Le problème avec les fanfares, c’est que ce sont elles-mêmes des associations, qu’elles ne peuvent défiler qu’en jouant de la musique car c’est leur raison d’être, mais qu’elles ne peuvent pas se trouver immédiatement les unes derrière les autres parce que cela fait cacophonie. Alors, soit elles s’intercalent dans le cortège en mettant une distance raisonnable entre elles, soit on organise un roulement et chaque année c’est une autre qui ouvre ou ferme le cortège, les autres défilant éventuellement sans jouer, soit encore d’autres solutions à imaginer.
Les personnes faisant partie de plusieurs associations, et ce sera le cas majoritaire, devront choisir ... Par ailleurs, la caractéristique marquante de ces associations, c’est qu’elles sont toutes multiâges, interclassiques et multiculturelles.
Ce défilé, qui donnera lieu à un jour sans travail, sera suivi par un banquet et un bal. Il sera ouvert par un élément « religieux » qui solenniserait encore plus la fête, sans nier son insertion dans les « trois cultures ». Ce sera une bénédiction, donnée d’abord par des ministres des cultes constitués (un par religion présente), puis des officiants des cultes panthéistes naturalistes qui rappelleront notre insertion dans la nature et le cosmos, puis un ou plusieurs philosophes, qui pourront prononcer une maxime « bien sentie ». L’ordre n’indique nullement une préséance, il manifeste seulement l’importance que chacun croit avoir pour le moment. Et qu’il n’y a aucune raison de contester, vu que la culture globale inclut toutes les « cultures » partielles. Des adaptations locales, notamment dans l’ordre et les importances respectives, se feront à chaque fois et pourront se modifier au cours du temps.
Pourquoi une Fête des associations ? Les associations regroupent les pratiquants d’une activité et celle-ci est le pilier de la nouvelle société, qui prendra la place du travail. C’est donc l’activité qui bénéficiera du plus grand investissement matériel, physique et affectif des gens et les associations, du plus grand investissement parmi les institutions de la société. Ces activités, qui leur rendront leur dignité, qui les rendront libres et heureux, qui leur permettront des relations humaines, des rencontres, des voyages et un développement spirituel, ils auront envie de les fêter. En signe de reconnaissance et d’attachement. Ce ne sera pas une fête d’excès et de défoulement comme un carnaval, ce sera une fête « politique » chargée d’émotion, emblème du monde nouveau.
Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
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12.18. La biodiversité humaine
Beaucoup plus tragique, ou tout autant ou alors moins, selon les sensibilités, que la disparition de la biodiversité des espèces animales et végétales, c’est la disparition des espèces humaines. Culture, coutumes, musique, littérature orale, tout disparait avec les peuples qui n’ont pas d’Etat-nation pour les représenter ou qui sont minoritaires ou autochtones. Ne fut-ce que pour les langues, le P.N.U.E. (Programme des Nations Unies pour l’Environnement – 2012) estime qu’au cours du XXIe siècle, 90 % des langues de la planète vont disparaître. Il y a encore environ entre 4 et 6.000 langues indigènes, mais l’UNESCO estime que déjà 50 % de celles- ci sont en danger de disparition. Une langue disparaît en moyenne toutes les deux semaines. Et beaucoup d’entre elles contiennent des phénomènes linguistiques rares, voire uniques. De même pour tous les autres éléments culturels qui seront irrémédiablement perdus.
Deux caractéristiques des peuples « primitifs »
Les peuples primitifs n’existant plus, je voudrais évoquer ici deux particularités de l’homme tout au début de son humanisation et dont on peut retrouver encore quelques traces dans la culture des peuples « autochtones », en particulier dans leur patrimoine de légendes orales.
- La proximité et l’égalité entre les hommes et les animaux. Pour résumer, dans ces civilisations-là, ce n’est pas l’homme qui descend de l’animal mais c’est plutôt l’animal qui descend de l’homme, tellement qu’ils sont considérés comme « humains » (voir à ce sujet Marshall Sahlins, La Nature humaine : une illusion occidentale, édition de L’éclat, 2009)
Une survivance de cette attitude dans notre monde développé est cette familiarité et cet amour des animaux, offerts de manière obsessionnelle aux enfants : livres d’images, films, animaux en peluche, en plastique ou en bois. Que ce soient des animaux de la ferme, sauvages européens, exotiques, dinosaures ou licornes, à part les chiens et les chats, il n’y a aucun de ces animaux que l’enfant, ni l’adulte d’ailleurs, ne risque de rencontrer. Seuls les animaux de la ferme peuvent être vus à travers les vitres de la voiture le long de l’autoroute, ou dans le meilleur des cas, lors d’une balade dominicale. Les autres, bien sûr au zoo ou au parc d’attraction. C’est justement le fait que ces animaux aient disparu totalement ou presque de nos régions, comme les ours ou les cerfs, que les autres sont loin, comme les lions ou les girafes, qu’ils relèvent d’un autre monde, comme les dinosaures, les licornes ou les gremlins, qui fait que cet attachement est si poignant. Moins il y en a, plus on en parle. On peut se demander quelle relation il a dû y avoir avec eux quand il y en avait beaucoup, avant que l’homme ne décide qu’il devait rester seul sur la terre, parce que ses frères animaux étaient des gêneurs et des concurrents ?
- A cette époque aussi, la prohibition de l’inceste n’était pas encore tout à fait établie. Une propension naturelle de l’être humain, c’est d’avoir des relations sexuelles avec les êtres les
plus proches, c’est-à-dire entre parents et enfants et entre frères et sœurs. C’est la prohibition de l’inceste qui fait l’homme humain, mais elle a mis des millénaires pour s’installer très progressivement. Un gros pan des mythes sauvegardés de ces peuples nous en parlent.
Par ailleurs, selon le mythe freudien, de « Totem et tabou » - Freud étant un grand inventeur de mythes, créateur d’un nouvel imaginaire collectif -, les frères se sont ligués entre eux pour tuer et manger le père primordial, pour pouvoir avoir accès à ses femmes, parce qu’il les monopolisait toutes. Mais après ça, le plus fort des frères aurait pu reproduire cette monopolisation et ainsi de suite. Est-ce pour cela que dans beaucoup de régions du monde, la famille est matrilinéaire, pour casser définitivement ce risque ? Est-ce que ce sont les frères qui ont fait un pacte en confiant la famille à la mère plutôt qu’à un autre père ? Peut-être. C’est une solution astucieuse pour en sortir, qui ne s’est sûrement pas faite en un jour et qui n’a pas pris partout.
Que faire ?
Hélas, apparemment ce processus de disparition de la biodiversité humaine semble difficilement contrecarrable. Noter tout, enregistrer, photographier, filmer est indispensable certes, mais est peu utile en soi parce que tout cela va dans des archives, qui risquent de rester à somnoler pour l’éternité. Il faut donc diffuser intensivement tout ce matériel. Ce qu’il faut d’abord, c’est faire connaître leurs mythes, légendes et récits par l’édition, tout comme pour la philosophie et nos mythes à nous. Il faut faire connaître leurs costumes, rites, maquillages, tatouages et décorations par des photos et des films. Il faut faire connaître leurs langues par des dictionnaires, grammaires et enregistrements. Même si tout ceci est sous forme d’images et de sons et ne pourra plus être vécu, tant pis.
Ce qu’il faut après cela, c’est s’en imprégner. Perpétuer leur existence par et dans la nôtre. Bien sûr, il ne faut pas « devenir » comme telle ou telle tribu de telle ou telle région. Mais il faut profiter de ce patrimoine gigantesque, flamboyant et extrêmement subtil pour en tirer des éléments, chacun à son choix individuel ou collectif. Qui seront comme quelques gènes transmis parmi des milliers d’autres. Les Australiens ont déjà commencé, très timidement et très tardivement, à s’approprier certains éléments de la culture aborigène. C’est le meilleur et le seul hommage que nous puissions leur faire, qui leur exprimera, à posteriori, toute notre gratitude. C’est aussi une des manières fondamentales de créer la Nouvelle société, un de ses piliers. Il ne faut pas seulement se relier à notre passé et renouer le fil de notre histoire, mais se relier aussi à ces milliers de peuples que nous avons fait ou laissé disparaitre. C’est leur seule survie possible. Il en va de notre survie aussi.
Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ
1.3. TRANSITION
1.3.1. La redistribution
1.3.1.4. L’espoir déçu du XXe siècle
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En 1965, l’économiste libéral français Jean Fourastié prévoyait dans son livre « Le grand espoir du XXe siècle » (éditions Robert Laffont et Gonthier) que 30 ans plus tard, c’est-à-dire en 1995, les gens ne travailleraient plus que 30 heures par semaine, 40 semaines par an – ce qui fait 12 semaines de vacances (=3 mois) - et durant 33 ans sur toute une vie. Ce qui fait au total 40.000 heures, qui est le titre d’un de ses autres ouvrages, « Les 40.000 heures ». Et ceci sans diminution du niveau de vie ! Environ 50 ans plus tard, nous sommes encore presque au double. Et l’Union Européenne, dans sa directive de 2003, a dû limiter le temps de travail hebdomadaire à 48 h avec toute une série de dérogations. Ce qui est amusant c’est que Fourastié, quand il envisage la résistance des capitalistes, qu’il nomme pudiquement les « gens les plus riches », refait son calcul et prévoit les 40.000 heures dans 110 ans, c’est-à-dire en 2075. « De toute façon on y arrivera dit-il, si on n’oublie pas cet objectif en chemin ».
Mais déjà en 1930, J. M. Keynes, le célèbre économiste, avait prédit qu’un siècle plus tard, en 2030, on ne travaillerait plus que 15 h par semaine. Tout au long du XXe siècle, les gens avaient en ligne de mire une substantielle réduction du travail. Les témoignages sont nombreux. Quelques exemples par ordre chronologique : G.B. Shaw (le dramaturge) en 1900, prévoit la journée de travail de 2 h pour l’an 2000 ; Julian Huxley en 1930, la semaine de
2 jours ; Bertrand Russel en 1932, la journée de 4 heures ; Richard Nixon en 1956, alors vice-président, promit à ses concitoyens qu’à brève échéance, ils ne travailleraient plus que 4 jours par semaine. Aux alentours des années 1970, les sociologues parlaient de la fin du travail comme imminente (extrait du blog de l’historien néerlandais Rutger Bregman). Nous avons vu ce qu’il en est advenu au tout début de ce livre.
Pourtant au XXe siècle aussi, on a pu constater la fausseté d’une des maximes fondamentales de la morale chrétienne : « La paresse est la mère de tous les vices ». L’ouvrier paresseux était stigmatisé comme allant d’office être la proie de toutes les perversions. C’était le travail ou l’horreur morale. La société des loisirs a montré tout le contraire. Quand on ne travaillait pas, on pouvait se livrer à de saines activités de loisirs et de consommation. Et si on n’en était pas capable, il y avait toujours la télévision pour être immobilisé et ne pas être soumis à la tentation.
Du côté de la gauche aussi, pour ne citer qu’un seul exemple, en 1977 le collectif Adret publie « Travailler deux heures par jour » (éditions du Seuil). Outre plusieurs témoignages sur le travail à l’époque (3X8, tri postal, secrétaire, docker et serrurier), ils font une intéressante distinction entre « travail lié » qui désigne le travail indispensable à la collectivité mais que personne n’aime faire, et pour lequel 2 heures par jour suffiraient, et le travail « non lié » qui désigne tous les autres et que les gens auraient du plaisir à faire, ce que j’appelle
« l’activité ». Je profite de cette recension pour en donner un extrait, témoignage du serrurier qui avait commencé à travailler en 1928, à 14 ans : « Le mercredi, c'était le jour du marché, il y avait des marchands de chansons qui chantaient leurs chansons, tard le soir sur la place du marché : on descendait, on allait voir les vendeurs de chansons, on apprenait la chanson avec eux, et tout le populo qui était là autour chantait. [...] Pourtant il était tard, on n'avait pas mangé... ça prouve qu'il y avait autre chose que le boulot qui comptait, on savait, dès que le boulot était terminé, s'évader vers autre chose. [...] Dans la serrurerie où j'étais, le patron n'aimait pas ça mais, dès qu'il était parti, on chantait, on chantait pendant le boulot : il y en avait un qui entonnait une chanson et la quasi-totalité des ouvriers reprenait. »
Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023 et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018
Chapitre 7 – RELIGION, PHILOSOPHIE ET PANTHÉISME PRÉCHRÉTIEN (Culte de la nature)
7.3. LA PHILOSOPHIE
7.3.2. La philosophie antique, une école de vie
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Retour à Épicure
Revenons sur Épicure, qui est parmi les philosophes ayant fondé une école, le plus malmené, le plus incompris et le plus oublié. Diogène Laërce, qui a écrit au IIIe siècle après J.-C. « Vie, doctrine et sentences des philosophes illustres », une mine incontournable de renseignements, a consacré le dernier des 10 chapitres de son livre à Épicure. Le seul autre philosophe ayant bénéficié d’un chapitre à lui tout seul est Platon. Il nous apprend que « Épicure a beaucoup écrit et dépassé tous les autres philosophes par le nombre de ses ouvrages. Ses volumes atteignent le nombre de trois cents environ ». Dans une liste qu’il fait de ses meilleurs ouvrages il en sélectionne 42, dont un, « De la nature », comprend lui-même 27 livres. Qu’est-il resté de cette œuvre, la plus considérable parmi celles des philosophes de l’Antiquité? Trois lettres et quelques sentences. En comparaison, ont été conservés 37 dialogues de Platon, dont la République, qui comprend 10 « livres » et d’Aristote, il nous est resté une trentaine d’ouvrages, considérant qu’un nombre à peu près équivalent a été perdu. De Platon, on considère que tout a été conservé, sauf bien sûr son enseignement oral. Pourquoi cette différence ? Pourquoi deux fois une trentaine de volumes d’un côté et seulement 3 lettres de l’autre ? Bien qu’on n’en ait aucune preuve matérielle, ni témoignages relatant d’éventuels autodafés des œuvres d’Épicure, il me semble évident qu’il n’y ait eu aucune bonne volonté à conserver les écrits d’une doctrine philosophique diamétralement opposée au christianisme, religion qui jusqu’à il y a peu, était tout sauf tolérante. On peut donc considérer que d’une part, sciemment et volontairement, d’autre part, par négligence et manque d’intérêt, les textes d’une des principales tendances philosophiques de notre Antiquité ont été éradiqués et à 99% détruits. En consolation, il nous reste une œuvre importante d’un de ses disciples romains, «De la nature», de Lucrèce. Peut-être pourra-t-on encore retrouver de ses textes dans les régions où s’est étendu l’empire d’Alexandre le Grand, en Asie centrale ou au Proche et Moyen Orient. Dans une grotte en Afghanistan ou en Ouzbékistan... Quand ces régions seront apaisées, on pourra y reprendre des recherches. Plus près de nous, une équipe de chercheurs italiens est en train de déchiffrer des rouleaux de papyrus écrits par Philodème de Gadara, philosophe grec de l’école épicurienne, en provenance d’une bibliothèque d’Herculanum. Ils font partie de 1.800 rouleaux retrouvés ensevelis par l’éruption du Vésuve en 79. Peut-être en trouvera-t-on d’Épicure... Ils sont en train de les déchiffrer sans les dérouler puisqu’ils sont collés et brûlés. Jusqu’à présent cela prend 3 mois par rouleau ...
Épicure eut une renommée hors du commun durant toute l’Antiquité, égale à celle de Platon et d’Aristote. Même Sénèque, le plus important philosophe stoïcien, doctrine qu’on oppose aujourd’hui à l’épicurisme, le cite abondamment. Mais déjà de son vivant, il eut des ennemis acharnés, qui n’ont pas lésiné sur la calomnie. Il était le seul à admettre des femmes parmi ses disciples. Il proposait une voie de sagesse menant au bonheur, qui prenait comme point de départ le plaisir. Mais pas n’importe quel plaisir. C’était celui de satisfaire ses besoins fondamentaux, c’est-à-dire manger, boire, se vêtir, s’abriter, avoir des amis et rien de manière excessive. Satisfaire sa faim avec un bon morceau de pain et de fromage équivalait pour lui à la satisfaction apportée par les mets les plus raffinés. Car après avoir mangé on est rassasié, de la même manière quel que soit l’aliment. D’autre part, manger trop rend malade et émousse les facultés gustatives. Le même raisonnement s’appliquait aux autres plaisirs. Ses autres valeurs, qu’il mettait en pratique dans son école, étaient la liberté, l’amitié et la justice. Le but du sage était d’atteindre l’ataraxie, qui est un état de paix intérieure résultant d’un bonheur sans trouble ni douleur. Il enseignait qu’il ne fallait pas avoir peur de la mort, car quand on est mort, on n’a aucune sensation. Même l’âme ne survit pas après la mort. Dans la lettre à Ménécée, il écrit à propos de la mort : « Elle n’est donc ni pour les vivants, ni pour ceux qui sont morts, puisque précisément elle n’est pas pour les premiers, et que les seconds ne sont plus. » C’est libérés de la peur de la mort que nous pouvons commencer à profiter de la vie. Il a résumé sa doctrine dans le tétrapharmakon, c’est-à-dire le « quadruple remède » : 1. Les dieux ne sont pas à craindre, 2. La mort n'est pas à craindre, 3. Le plaisir apporte le bonheur, 4. La douleur est facile à supporter.
Au point de vue religieux, il avait une attitude similaire à celle que j’ai proposée au chapitre précédent. Pour lui, les dieux n’ont aucune influence sur le monde et il combat vigoureusement les superstitions religieuses. Par contre, il affirmait leur existence et pratiquait et encourageait leur culte. Il faisait donc une différence entre les dieux et la religion. De plus, il avait une conception de dieux sans colère ni passion, ce qui contribuait aussi à permettre de ne pas en avoir peur. Malgré cela, il a été taxé d’athéisme tant par les Grecs et les Romains que par les chrétiens. Il est intéressant de voir que cette attitude a toujours été perçue comme choquante et incomprise.
Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
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12.5. Restaurants et cafés
A contrario du chapitre précédent, il est des rites sociaux qui dans le monde futur, vont perdre une partie de leur sens.
Restaurants
Le restaurant est la matérialisation du rêve bourgeois de vivre comme des aristocrates, surtout se faire servir à table par des serviteurs, qui en l’occurrence s’appellent « serveurs ». Le nec plus ultra c’est quand il y a un orchestre qui accompagne le repas. Mais ça ne se fait plus, on l’a remplacé par de la musique enregistrée. Quand le régime capitaliste bourgeois aura disparu, l’institution du restaurant pourra théoriquement disparaître aussi. Nous n’avons plus aucun désir de singer les détenteurs du pouvoir de l’avant-dernier régime. Pour tempérer cette affirmation un tant soit peu radicale, nous admettons que le rite du restaurant est entré dans les mœurs et apporte quand même du plaisir. Il peut donc se troisièmedegréiser. Je jetais juste un éclairage sur son origine et sur les traces que ça en a laissé. Il y a donc deux manières de le considérer.
Il y a quand même une différence entre le restaurant et le repas de l’aristocrate : c’est que le client du restaurant peut choisir ce qu’il mange. Ce qui n’est pas le cas de l’aristocrate chez qui c’est son ou sa cuisinière qui décide. Bien qu’il puisse émettre des souhaits.
Une autre origine du restaurant, c’est l’auberge destinée aux voyageurs, située sur des routes commerciales ou de pèlerinage. Endroits où les voyageurs étaient tellement nombreux qu’ils ne pouvaient pas être absorbés par le devoir d’hospitalité des riverains. Dans ces lieux non plus, on ne pouvait pas choisir ce qu’on mange.
Il y a trois types de restaurants possibles : avec choix, où le plat est cuisiné après que le client l’ait choisi ; avec choix mais où les plats sont déjà tous cuisinés à l’avance et où on doit les choisir après les avoir vus dans la cuisine ; et celui où il y a un seul plat, voire éventuellement un deuxième pour ceux qui n’aiment pas. Ce qui est le cas de tous les restaurants d’entreprises, d’écoles, d’hôpitaux, mais aussi des tables d’hôtes.
Le plaisir d’aller au restaurant sera éclipsé par les banquets, repas en commun ou pique-niques, où chaque convive apporte quelque chose ou bien où on prépare un seul repas à plusieurs ou encore dont la confection est confiée à des personnes, membres du groupe ou non. Le service sera fait soit par soi-même, soit par un convive qui sert les autres et puis prend place à table, en s’étant éventuellement fait relayer. N’oublions pas qu’on aura tout le temps qu’on veut pour cuisiner… et pour manger.
Cafés, bistrots, estaminets, tavernes, bars
L’origine du café n’est pas aristocratique. Il descend aussi de l’auberge des grands chemins et de la taverne des villes. Après il s’est répandu et institutionnalisé pour terminer comme lieu de sociabilité des ouvriers et des employés. L’équivalent aristocratique et bourgeois existe quand même, c’est le club. Les cafés fonctionnent sur une base géographique locale, soit basés sur le lieu de travail, soit sur le lieu d’habitation. Pour les ouvriers qui habitaient à côté de leur usine, les habitants d’un quartier et les travailleurs d’une usine étaient donc les mêmes. Plusieurs bistrots étaient nécessaires dans un même quartier ou autour d’une usine, pour absorber la demande. Au début de la télévision, c’était les bistrots qui s’en équipaient et le quartier venait la regarder là. Elle n’a pas tué la sociabilité dès le début.
Dans la nouvelle société, ce seront les activités qui primeront. Le lieu phare de la sociabilité sera donc la buvette. La buvette du club sportif, de l’école d’art, du manège ou de l’atelier de rénovation de motos anciennes. La buvette temporaire de la fête de l’école ou de la compétition de déclamation de poésie. Ces lieux existent déjà. Ils concentrent toute la chaleur humaine et toute la créativité dans la décoration de ces lieux non soumis à la rentabilité. En effet, on en fait beaucoup plus, je parle du gérant ou du préposé, quand ce n’est pas dans le cadre d’un travail. Même en indépendant, le bistrotier ne fera des efforts que dans le but de créer une bonne ambiance qui puisse lui rapporter plus. Mais rien de plus, rien de superflu, d’offert gratuitement. Ces lieux existent donc, et ils sont bien aimés, mais ils n’ont pas la dignité sociale qu’ils méritent, ils ne sont pas reconnus à leur valeur fondamentale de lieux de sociabilité de l’avenir. Et ils sont très peu nombreux par rapport aux possibilités.
Des bistrots « généralistes » pourront encore exister bien sûr. Je recommande pour leur aspect de se rattacher à la tradition ancestrale de l’auberge de grand chemin, de renouer le fil cassé par le capitalisme de notre culture plus que bimillénaire. Pour qu’on puisse les reconnaître avant d’y entrer, je propose que dès maintenant, leur nom ait systématiquement la structure suivante : un nom suivi d’un adjectif. Et dans la langue du pays
Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
12.7. Le costume
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Dans ce domaine aussi, il est tout à fait pertinent de diviser l’histoire du costume selon les trois périodes : 1° avant l’introduction du travail, 2° pendant la période où le travail est la valeur centrale, c’est-à-dire la nôtre, mais où cette valeur s’effrite et est en voie de disparition, et 3° après que le travail ait été réduit à une pure utilité secondaire, c’est-à-dire dans le futur.
Avant le travail
Avant l’industrialisation, le vêtement du peuple était « folklorique ». Il était commun à toute une collectivité et se différenciait par zone géographique, par classe sociale et par métier et fonction. Il était variable comme les patois par rapport à une langue. Le costume comportait une décoration maximale. Tous les éléments vestimentaires, des chaussures au chapeau étaient décorés, codifiés et très « typés ». Le costume bénéficiait d’une appropriation totale par le peuple en tant que collectivité, suivant ses limites géographiques, sociales et culturelles.
Hormis les costumes folkloriques, voici ce que dit du vêtement, Wikipédia, dans sa rubrique « Société occidentale » : « Au début du XVIIIe siècle les habits des hommes et des femmes étaient exubérants. Boucles d'oreilles, poudres parfumées, cosmétique, habits de soie et de dentelles étaient portés par les hommes comme par les femmes. Les habits des hommes mettaient en avant la carrure des épaules et étaient parfois munis d'une braguette - rabat de toile brodée et saillante à la hauteur du pénis. Les habits des femmes mettaient en avant les seins et le bassin avec des décolletés profonds, robes larges et corsets. » Cette situation n’était pas propre à l’Europe, dans le monde entier c’était la même attitude par rapport au costume.
Un auteur du siècle précédent, qui nous donne une description extrêmement détaillée du costume au XVIe siècle, c’est François Rabelais, plus précisément dans le chapitre LIV du « Gargantua », intitulé « Comment estoient vestuz les religieux & religieuses de Thélème. » Je ne reproduirais pas la liste des parties, formes et accessoires parce que tous nécessiteraient un dessin pour être compris, ni le nombre inouï de tissus, fourrures et matériaux utilisés, je me contenterai d’en extraire les couleurs: écarlate, vermeil, cramoisi, rouge, violet, blanc, orangé, saumon, gris, argent, or, bleu, noir, tanné (?). Tout ceci, autant pour les hommes que pour les femmes. Et changeant selon les saisons et les occasions. Un petit exemple quand même pour exemplifier la créativité débridée du costume : les diverses sortes de chaussures étaient très larges au bout et comportaient des fentes perpendiculaires elles-mêmes bordées d’une espèce de dentelle imitant des barbes d’écrevisse.
Pendant le travail
Lors de la transformation des agriculteurs et des artisans en ouvriers, il a fallu, 1° gommer toutes les particularités pour les fondre en une seule classe ; 2° enlever toute décoration pour mater leur dignité et accompagner leur transformation en esclaves. Par une ironie de l’histoire, ce « costume » d’ouvrier est devenu le costume folklorique des vieilles régions ouvrières ou minières, en Wallonie par exemple. En effet, tout ce qui était avant, a été totalement et irrémédiablement effacé. C’est donc une « folklorisation » du costume d’esclave ouvrier, même s’il est infiniment moins riche que les costumes qui ont précédé.
Voyons à nouveau Wikipédia : « C'est dès 1770 que l'habit masculin devient résolument sombre et terne. Marqué par l'éthique du travail : dépourvu de l'élégance de ce qui symbolisait l'opulence, les loisirs, les affaires amoureuses de l'aristocratie décadente. Le costume masculin devient alors un simple trois pièces veste-culotte et pourpoint, précurseur du complet-veston contemporain, porté sans bijoux ni cosmétique, et imposant à l'homme « sérieux, actif et fort » de renoncer à la parure et à la coquetterie. Celle-ci était alors le seul fait des femmes, qui devenaient la vitrine du statut social de leur mari. »
Les deux caractéristiques du costume de « l’ère du travail » sont précisément : le manque d’ampleur et le manque de couleur. Ces deux principes sont suivis par toutes les classes sociales, ce qui prouve bien que le patron ou le capitaliste est tout autant prisonnier du système que le travailleur qu’il exploite. Le patron a la compensation illusoire de croire que l’accumulation d’argent lui donnera le bonheur. Pourtant, il porte le même costume que ses employés ou que son chauffeur. La seule différence, c’est le prix qui peut être dix fois plus cher. Seules les classes inférieures ne portent pas le costume, sauf quand même lors des grands événements. S’il n’y a donc étonnamment que très peu de différenciation sociale dans le costume, il y a bien une différenciation sexuelle. La femme peut et doit même se permettre des fantaisies dans le vêtement, en ce qui concerne les formes, les matériaux et les couleurs. De plus, elle doit changer chaque année et chaque saison. Ceci pour deux raisons, d’une part pour « marquer le statut social de leur mari », d’autre part pour des raisons d’attraction sexuelle. Essayons d’imaginer une société où les femmes seraient aussi habillées en costumes gris ... Ce qui n’empêche pas bien sûr, que les rôles puissent parfois être échangés.
La différenciation sexuelle est encore exacerbée dans le costume de fête, où la femme peut se permettre toutes les extravagances dans les matières, les couleurs, les formes, les accessoires et les bijoux, tandis que l’homme doit d’autant plus strictement se limiter au complet-veston-cravate !
Le manque d’ampleur
Le costume de l’homme moderne est étriqué. Il suit au plus près les contours du corps. La seule partie du corps qui est un peu amplifiée sont les épaules, un peu élargies avec un rembourrage. Partout ailleurs et dans le passé, il est beaucoup plus ample. Le boubou des hommes de l’Afrique de l’ouest ou la toge des Romains ne sont que deux exemples pour montrer que le vêtement peut dépasser largement la stricte enveloppe corporelle. Dans ce cas, la dignité de l’homme est magnifiée, en le montrant plus grand qu’il n’est physiquement. Ce qui est tout à fait exact, parce que chaque être humain a une face spirituelle invisible qui ne peut que le grandir.
Le manque de couleur
Regardez un groupe d’hommes d’affaires en voyage : non seulement ils ont tous un costume presque de la même couleur, avec d’infimes variations entre eux, mais en plus, cette couleur c’est le gris ou à la rigueur le bleu marine ! Il est ahurissant de constater qu’à une époque et dans une société basée sur l’individualisme, où mai 68 à fait « éclater le carcan du conformisme », où le service militaire obligatoire a été supprimé, où les uniformes scolaires ont été supprimés depuis longtemps, où donc plus personne ne porte l’uniforme en public à part les policiers et les pompiers, qu’il y ait encore des gens, qui jouissent en plus d’un certain prestige et d’une condition sociale aisée, qui continuent à porter consciencieusement et avec acharnement un uniforme, qui en plus est étriqué et gris ou bleu marine ! Le noir étant réservé aux grandes occasions, et pas seulement aux enterrements. La différence entre le gris et le noir étant lourdement chargée de sens. Où va se nicher la sémiologie ! Bien sûr, l’exemple que j’ai pris est un cas extrême, même si assez répandu et prestigieux, qui ne représente pas la moyenne de la population. A contrario, les femmes qui peuvent bénéficier d’une grande liberté n’en profitent pas toujours. Entre autres pour se rapprocher des hommes.
Une évolution parallèle mais plus tardive s’est faite avec le costume militaire. De tous temps, le soldat a eu un uniforme coloré, avec des galons dorés, des plumes et autres accessoires. Ce qui entrainait le « prestige de l’uniforme ». Une autre raison méconnue de l’uniforme coloré, c’était de pouvoir repérer les déserteurs. A partir de la Première Guerre mondiale, il y a eu un changement du tout au tout : d’extrêmement visible, il est passé au moins visible possible. L’uniforme de combat était devenu celui du « camouflage », pour toutes les armées, donc plus ou moins le même pour chaque camp de combattants et l’uniforme « non-combattant » a pris la couleur kaki, qui s’est vite identifiée au militaire, ou alors vert, marron, noir. Ce qui a fortement atténué le « prestige de l’uniforme ». Voici comment Wikipédia explique ce changement : « Son utilisation [du camouflage] dans l'uniforme des fantassins est un signe caractéristique du passage à l'ère de la guerre moderne, lors de la Première Guerre mondiale. En effet, dans les guerres des époques précédentes, les tenues voyantes permettaient de mieux distinguer les différentes unités sur un champ de bataille bien délimité, où la puissance et la portée des armes à distance étaient faibles et où la majeure partie des combats se faisait au contact. Avec l'augmentation de la portée et de la cadence de tir des armes à feu, la dissimulation devenait une nécessité pour protéger le soldat. »
L’histoire du costume nous offre le plus éclatant témoignage de l’évolution de la dignité humaine, entre avant et après l’introduction du travail.
Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
12.2. Les fêtes
12.2.2. Grandes fêtes collectives
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La fête c’est une tradition
S’il y a bien deux modes de plaisir et d’intérêt chez l’homme, celui de la surprise et de la nouveauté et celui de l’habitude et du rite, la fête en tant qu’événement collectif se situe indéniablement du côté de l’habitude. La réaction n’est pas « Oh, c’est toujours la même chose, ça m’ennuie, j’en ai assez », mais « Ah, je retrouve l’ambiance et les rites des fois passées, ça ne fait qu’augmenter mon plaisir ».
Une vraie fête, c’est d’abord une date prévue un an à l’avance, fixée d’office ou dès la fin de la précédente. On s’y prépare longtemps à l’avance, on la sent venir si elle est liée à une saison ou à d’autres événements, puis la tension monte, plus le moment se rapproche, plus les préparatifs s’intensifient. Il ne faut rien oublier. Puis le jour vient, inéluctablement. C’est un événement qu’on ne peut pas repousser, différer, postposer, ni annuler, sauf uniquement en cas de guerre. Une procrastination collective est impossible. Le moment arrive comme le soleil qui se lève le matin, comme la femme enceinte qui accouche. Les grincheux disent « vivement que ce soit déjà fini ». Mais la fête a lieu, qu’on soit malade ou en bonne santé, qu’on soit en deuil ou dans la joie, qu’il fasse beau ou mauvais, qu’on soit dans une période de richesse ou de pauvreté. Et puis après c’est fini, il faut nettoyer, ranger, se reposer, laisser décanter les souvenirs et les plaisirs, engranger les anecdotes à raconter. Et attendre en confiance la prochaine. La prochaine de la même ou d’une autre. Une vraie fête est une tradition, dès sa première fois.
Mais il y a une dialectique de la tradition et de la nouveauté. Une vraie fête vivante ne peut pas s’empêcher d’évoluer, sinon elle se momifie et devient ennuyeuse. A chaque fois, on y ajoute une petite touche, un embellissement, qui se voit dans un nouvel accessoire vestimentaire, une nouvelle boisson, de temps en temps on ajoute même une nouvelle chanson.
Il y a certes aussi des fêtes improvisées ou impromptues, mais c’est plus rare et de petite ampleur. Une envie festive collective ne peut se concrétiser que s’il y a un meneur qui dit « maintenant on y va » ou une date fixée à l’avance qui s’impose. C’est comme pour une course, s’il n’y a pas quelqu’un qui tire le coup de pistolet du départ, il n’y aura jamais de départ. Certains partiront en avance, puis devront revenir pour attendre les autres, qui entretemps seront déjà partis. Ce sera une mêlée et une course impossible. Ce n’est pas pour cela que le tireur de pistolet doit être le chef. C’est d’ailleurs la même chose pour les mouvements révolutionnaires.
Il y a encore une catégorie de fêtes spontanées, mais qui ont lieu à un moment bien précis, ce sont celles qui célèbrent une victoire au football ou aux élections. Ce sont de vraies fêtes aussi parce que tout le monde y est acteur, même si elles ne se reproduisent pas. Elles impliquent énormément de gens, mais ce qu’on y fait est rudimentaire au point de vue des rites. Cela se limite à des explosions de joie, qui mènent aussi à des rencontres et des fraternisations. Ce qui est déjà très bien !
La fête c’est un événement total
Une autre caractéristique des vraies fêtes, c’est qu’elles s’étendent dans tous les domaines de la vie sociale, publique et privée. Il y a des petites et des moyennes fêtes, qui ont peu de ramifications ou peu de gens concernés. Une grande fête, outre son extension dans le temps dont j’ai déjà parlé et qui prend du temps surtout avant, pour la préparation, puis pour la fête elle- même qui dure un ou plusieurs jours, avec un début, une « montée », un paroxysme, une « descente » et une après-fête qui est beaucoup plus courte, a une extension dans tous les domaines de la vie.
D’abord la nourriture. Des plats et des boissons particulières reviennent une fois par an, avec des variations aussi pour l’avant, le pendant et l’après. C’est le parfum et le goût de la fête. Il y a aussi la musique et les chansons de la fête qui égayent l’ouïe. Il y a des couleurs particulières, des décorations dans les rues, sur les maisons et à l’intérieur des maisons qui égayent la vue. Il y a des costumes et des vêtements particuliers qu’on ne met qu’à cette occasion et qu’on conserve soigneusement jusqu’à la prochaine fois.
Il y a aussi des rites, religieux ou pas, des cadeaux, des actes de charité, des coutumes particulières, spéciales, uniques, dont l’origine et la signification doivent toujours être répétées parce que la fête est gorgée de sens. Il y a aussi une histoire de la fête elle-même à raconter, souvent mythique d’ailleurs.
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Chapitre 12 – CONCEPTION DU MONDE ET MODES DE VIE
12.4. Plaisir de l’existant
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Les rites sociaux
La pratique du bouddhisme zen a pour but l’adéquation au monde qui serait obtenue après l’éveil spirituel, le « satori ». C’est un état de présence totale dans lequel la différence entre l’ego et le monde disparait, ce qui donne un bonheur paisible et ineffable. Mon idée n’est pas du tout de prôner pareil chemin, qui ne relève que de l’individu, mais de mutatis mutandis, faire glisser cette notion vers les comportements, relations et rites sociaux. Depuis nos rapports avec le monde, vers nos rapports avec les autres. On peut être entièrement présent, c’est-à-dire être conscient, et apprécier tout autant un repas en famille ou entre amis, une cérémonie de remise de diplôme, le dépôt de son enfant à l’école, un dépôt de gerbe devant un monument aux morts, une fête de pension d’un collègue, un concours pour devenir fonctionnaire (comme au temps des mandarins en Chine), un match de football, un concours de pêche, une manifestation syndicale, une réunion de badauds devant une voiture en panne, une discussion après avoir lu le journal, le premier jour de vacances sur une plage bondée mais au soleil quand même, la Nouvelle Star ou The Voice (mais pas trop souvent), qu’un coucher de soleil ou un papillon sur une fleur.
Le territoire
Le paysage est une de nos plus grandes richesses, symbiose entre la nature et l’homme, il s’offre à nous gratuitement. Il ne faut pas seulement en user comme d’un spectacle, à contempler depuis le banc du belvédère ou à travers la lorgnette du télescope à monnayeur, en faire des photos ou une peinture, il faut aussi se plonger dedans. Imaginons-nous que quand on file sur l’autoroute ou dans le TGV, aériens et détachés du monde, qu’on en sorte, qu’on choisisse au hasard un endroit un peu éloigné dans le paysage, qu’on s’y arrête, qu’on s’aplatisse, mentalement, sur le sol, qu’on devienne lourds et que notre corps s’enfonce un peu dans la terre, qu’on y lance quelques racines. Après ça, il faut parcourir la surface de la terre - je parle de celle qui est sous nos pieds maintenant et pas du vaste globe - en s’imprégnant non seulement de ce qu’on y rencontre aujourd’hui, mais aussi en se mettant en contact avec nos prédécesseurs qui, au cours des années et des siècles qui nous ont précédés, ont marqué les lieux de manière plus ou moins effacée mais quand même indélébile. Le plaisir est là quand la synthèse est harmonieuse et équilibrée entre l’homme et la nature et entre le présent et le passé. Dès que l’homme actuel prédomine et veut faire disparaître la nature ou son passé ou les deux, on se retrouve dans un second degré, nu, fade et anxiogène. Même si c’est propre et sécurisé. Un arôme artificiel ne remplacera jamais un goût ou un parfum naturel, ni un son synthétique un son naturel. Ces derniers possèdent une infinité d’harmoniques, dont la plupart sont perçues même si elles sont cachées. Découvrez et percevez les harmoniques du monde !
L’histoire
En prenant un regard extérieur, et à son pays et à sa classe sociale, on peut apercevoir bien cachée, si on cherche attentivement et sans préjugés, quelque chose qui pourrait s’appeler l’âme du peuple. Il ne s’agit certainement pas d’un concept « ethniciste », vantant les gens « de souche » qui seraient supérieurs à ceux d’ailleurs. Je fais plus loin un chapitre à ce sujet, intitulé « Un indice de civilisation ». Cette âme du peuple s’est toujours formée grâce à de multiples apports qui ne s’arrêtent jamais. Je ne vise pas non plus les caractéristiques « nationales », ni « régionales », qui sont toujours bien vivantes et fort utilisées, pour le tourisme, la publicité ou la guerre. Je fais allusion en fait à quelque chose qui a disparu avec la société de consommation et qui avait déjà subi des coups avec la société de production (autre nom pour le capitalisme industriel). En effet, se plonger dans les objets de consommation, en les achetant, les utilisant ou en en rêvant, stérilise tout un aspect de la vie sociale qui est celui qui se vit en relation avec les autres, qui est d’office aussi avec les autres du passé, en tant que groupe simultanément synchronique et diachronique. Quand chaque famille a sa machine à laver, sa télévision et sa voiture, quand le rêve est le pavillon de banlieue entouré de gazon et les vacances en Espagne entouré de gens sur des essuies de bain, il y a forcément quelque chose qui s’est perdu sans qu’on s’en rende compte ou qui a été rejeté avec mépris comme n’étant pas aussi séduisant. L’âme du peuple est la manière commune de réagir à vif et de sentir les événements quotidiens mais aussi exceptionnels.
Si on veut en retrouver des traces, on doit se tourner vers la littérature et la peinture, seuls témoignages subsistant avant YouTube. Les plus représentatifs et marquants, parce qu’ils ont même donné naissance à des adjectifs, c’est Rabelais et Brueghel, tous les deux ayant vécu au XVIe siècle. Mais on peut trouver des témoignages dans tous les autres pays, entre le XIIe et le XVIIe siècle, comme par exemple, Boccace en Italie, Chaucer en Angleterre, Grimmelshausen en Allemagne ... et même encore au XXe siècle, avec Jaroslav Hašek en Tchécoslovaquie (« Le brave soldat Chvéik »). Les exemples que je cite ici sont représentatifs de « l’âme européenne ». Tous les peuples ont bien sûr une « âme », à chacun de la retrouver. Avec des déclinaisons selon les continents, les pays et les régions. Elles pourront réapparaître si on en prend conscience et si on le veut.
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Chapitre 7 – RELIGION, PHILOSOPHIE ET PANTHEISME PRECHRETIEN (Culte de la Nature)
7.3. LA PHILOSOPHIE
7.3.4. Aujourd’hui, le retour de la philosophie pratique
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En 2014, une maison d’édition francophone spécialisée dans les livres pratiques, bien présente dans les grandes surfaces, proposait 121 titres dans sa rubrique « Psychologie ». On y trouvait par exemple « Bonheur mode d’emploi », « Clés pour la paix intérieure », « La retraite de l’esprit », « 10 minutes pour être zen », « Trois kifs par jour et autres rituels recommandés par la science pour cultiver le bonheur », « Brins de sagesse », « Éloge de la lenteur », « Transformez votre vie » et encore 113 autres. Il y avait aussi 51 titres dans la collection « Santé » y compris la santé mentale, 12 dans « Santé – Forme – Sexualité », 1 dans « Spiritualité » et ... 14 dans « Philosophie ». Au total, cela fait 199 titres dans ce domaine. Plusieurs autres éditeurs occupent aussi ce créneau. Et c’est la même chose dans les autres langues.
A côté de cela s’exprime une soif de connaissance de la « vraie » philosophie, à laquelle répond une très importante vulgarisation. Innombrables sont aujourd’hui les livres de philosophie destinés au grand public, des résumés, des commentaires plus ou moins approfondis ou décalés, des cours, des extraits choisis, des « à comprendre en 5 minutes », des « une page par jour », des « pour les nuls ». Certains auteurs-philosophes se sont d’ailleurs spécialisés dans cette démarche et sont devenus des vedettes de la littérature et des maîtres à penser. Ceci sans ironie parce qu’ils ont tous une bonne éthique philosophique. Ils expriment aussi leurs opinions personnelles sur la manière d’être heureux et donnent des conseils ou proposent des méthodes ou des exercices. Qui peuvent même être des exercices de « philosophie amusante » ou « entre amis ». Tout ceci est tout à fait bienvenu, c’est seulement dommage qu’il manque la transmission directe. Mais à l’heure des médias, c’est normal de médiatiser.
A quoi répondent ces livres si ce n’est aux mêmes questions auxquelles les philosophes de l’Antiquité ont déjà répondu ? Mis à part les conditions de la vie moderne qui, il est vrai, fournissent un gros paquet de problèmes nécessitant des réponses inédites, la question du bonheur et de comment y arriver n’a pas changé. Même pour la vie en société, on serait étonné de retrouver de nombreuses caractéristiques inchangées. Il suffit de lire Sénèque pour voir décrits avec une plume acérée, la course aux honneurs, l’oubli de soi dans des activités vaines et frénétiques, l’importance du qu’en-dira-t-on, l’impossibilité de lâcher des charges politiques, ou le fait de se plonger dans l’étude de connaissances inutiles comme celles qui servent dans les jeux télévisés !
Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ
1.4. FUTUR
1.4.13. La perception du temps
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La montre à une aiguille
La montre-bracelet, et avant ça la montre à gousset, qui sont des horloges portatives, marquent sur la chair des hommes, la contrainte du temps. Bien avant d’éventuelles « puces » que la science-fiction imagine implantées sous notre peau, la montre-bracelet enserre notre poignet et nous colle à la peau. Personne n’en est dépourvu si ce n’est des gens très marginaux et très asociaux. C’était le cadeau par excellence offert lors des communions, le rite d’accession à l’âge adulte. « Tu es adulte maintenant mon enfant, tu dois donc te soumettre au Temps » Ce n’est que la généralisation des portables pourvus d’une horloge apparente, qui commence à battre en brèche l’obligation d’en porter à son poignet. Mais ils se retrouvent dans la poche. Ce n’est pas loin.
D’autre part, de plus en plus, l’heure s’affiche partout, sur tous les appareils électro-ménagers, le four, le percolateur, la radio, la télévision, la machine à laver. Chacune affiche l’heure, soi-disant pour pouvoir les programmer. Par contre, elle a disparu de l’espace public, comme les cabines téléphoniques. Les horloges sur des mâts sur les places publiques ou aux frontons des gares étaient considérées comme des services à la population, qui précisaient et remplaçaient les cloches des églises, quand tout le monde n’avait pas encore de montres personnelles. C’est d’ailleurs le chemin de fer qui a été la cause de l’unification de l’heure au XIX e siècle. En effet, chaque ville, chaque village, avait son heure propre, qui n’était ni synchronisée avec les autres, ni réglée sur une norme commune. Les heures étaient relatives à chaque lieu, marquées par les sonneries de cloches de ses églises et c’était bien ainsi. Quand le chemin de fer a commencé à relier différentes villes, si le train partait à une certaine heure et devait arriver dans la ville suivante après un certain nombre de minutes, il fallait que l’heure indiquée dans la ville d’arrivée corresponde.
Pour matérialiser une nouvelle conception et perception du temps, je propose des montres et des horloges à une seule aiguille, la petite, celle marquant les heures. Entre chaque heure, il y a encore cinq subdivisions, qui servaient à l’aiguille des minutes, et qui marquent pour l’aiguille des heures, des intervalles de 12 minutes. Si on veut, on peut remplacer ces 5 marques par 6. Ce qui ferait des intervalles de 10 minutes pour les fanatiques du système décimal. Sur les montres digitales, il n’y a que les dizaines de minutes qui apparaîtraient. Connaître l’heure avec une précision de 12 ou de 10 minutes est amplement suffisant dans une société où le temps n’est plus de l’argent. Car dans la logique du travail salarié, chaque minute, voire chaque seconde, a une valeur monétaire tout à fait précise. Ce qui n’est pas du tout le cas pour les activités.
Extrait du chapitre 7
RELIGION, PHILOSOPHIE ET PANTHÉISME PRÉCHRÉTIEN (Culte de la Nature)
Sous-chapitre 7.4. Panthéisme préchrétien (Culte de la Nature)
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7.4.4. L’homme et la nature
Être dans le paysage.
Combien de fois, en roulant sur l’autoroute ou en voyageant en train, ou même en avion, me suis-je posé la question de comment c’était derrière la vitre ! On glisse dans un tube transparent aseptisé, inodore et silencieux, avec même des étiquettes sur les autoroutes comme sur des tableaux, indiquant « Ici, château », « Là, vieille ville », « Là encore, bataille avec un numéro à quatre chiffres ». Derrière la clôture, derrière la vitre, un autre monde, peut-être plus réel, plus dense que notre monde habituel qui n’est plus que surface à force de l’avoir usé.
Faites l’exercice : allez une fois nulle part. Sortez de l’autoroute à la sortie la plus discrète, la plus banale entre deux villes, prenez à gauche, au milieu du village à droite, après à gauche, puis à droite, au feeling, puis le chemin le long des champs, du canal ou dans le bois. Imaginez-vous qu’il y a des gens pour qui ce que vous voyez est leur banalité à eux et depuis des générations, cet arbre que vous n’avez encore jamais vu et ne reverrez plus jamais, ce coin du mur avec cette niche, cet amas de pierres au bord du chemin, qu’il y a des gens, ou peut-être même un seul, qui passe par là tous les jours, depuis 50 ans peut-être et pour qui c’est le suc de sa vie, la dernière image qu’il emportera dans la tombe. Chaque lieu est le centre du monde. Puisque la terre est sphérique.
Marcher sur la Terre, dans le paysage, vous fait sentir l’échelle du monde. L’échelle du monde à hauteur d’homme est celle qu’on mesure avec ses pas. D’ailleurs c’est la marche qui fait tourner la Terre, chaque pas, puisqu’on pousse dessus à cause de la pesanteur, la fait tourner dans le sens inverse de sa marche. On visualise bien ce phénomène au cirque, quand l’artiste marche sur un ballon... Et puis le paysage, le pays comme on dit à la campagne, n’est pas rectiligne, n’est pas indifférencié. Pour s’y déplacer on suit les crêtes ou les vallées, on contourne les bois ou on les traverse, on suit les chemins qui sinuent selon des traces historiques, témoins de propriétés, de guerres, d’abandons, de miracles.
A un troisième niveau, encore plus grand, on perçoit le Globe terrestre entier. Ceci quand on voit l’horizon et qu’on est en interaction avec lui, si on se dirige vers lui, on s’en éloigne, ou on chemine parallèlement. C’est perceptible de la manière la plus forte et la plus pure dans le désert ou sur la mer. Là l’horizon est partout, tout autour de nous, dans quelque direction que nous allions, nous allons vers l’horizon et nous nous éloignons d’un autre. Mais dans le désert et dans la mer, la terre ne produit rien, elle est « abstraite ».
Le minimum du maximum se trouve dans la steppe, la plaine ou la pampa. Certains qui en ont bien parlé sont le père Huc, W. H. Hudson ou F. Cooper. Là nous avons un horizon à 360°, une couverture végétale minimale, dense et tout à fait présente, faite d’herbes pouvant atteindre 2 mètres de haut et le ciel qui, avec sa voûte en demi-sphère, est beaucoup plus important encore que la Terre. Le ciel a là un rapport avec la terre, comme un volume avec une surface. C’est-à-dire le cube du carré. Plus l’infini parce qu’en réalité, le ciel n’est pas une voûte. Durant le jour, les nuages nous donnent une mesure de sa profondeur et la nuit, les étoiles concrétisent l’infini, qui est alors à notre portée.
Un autre lieu significatif est la montagne. Son gravissement correspond d’ailleurs à des étapes d’élévation spirituelle. D’abord la traversée de sombres forêts de conifères moussus et aux branches couvertes de lichen, où on ne voit pas le ciel ; ensuite les alpages couverts d’herbes et de petites fleurs multicolores ; puis les rochers nus ; et pour finir, sur les montagnes les plus hautes, la neige. Le très lent gravissement à pas d’homme, les panoramas qui se dévoilent dans les cols, les corniches où la vue change à chaque pas et puis le sommet où on est le roi du monde.
Entre l’homme et la nature
Il y a une différence entre « être sur la Terre » et « être dans la Nature ». La Nature étant l’ensemble des éléments plus la végétation et la faune. La Nature et l’homme ne sont pas exclusifs, il faudra bien l’admettre. Même si l’homme occidental se considère en opposition avec elle, on doit placer ces deux éléments sur une seule ligne avec à gauche l’Homme et à droite la Nature. Chaque lieu ou situation se trouve quelque part entre les deux, plus il y a d’hommes, moins il y a de nature et vice-versa. Ceci considère qu’ils sont complémentaires et pas opposés et se réfère aux lieux.
Le plus émouvant, ce sont les territoires où l’homme et la nature se rencontrent. On les appelle des zones « semi-naturelles ». Ce sont généralement des zones qui étaient cultivées, donc entièrement humanisées, mais où on a abandonné la culture et où la nature est en train de reprendre ses droits tout en laissant visible, à un certain stade, les traces de l’homme. Ou ce peut être à l’inverse, des zones non cultivées où l’homme fait une incursion modérée et respectueuse. Bref, c’est là où homme et nature se complètent et dialoguent.
Un autre type de « zone semi-naturelle » sont les bords de mer, ou plus rarement, de lacs et de cours d’eau. Il y a là une interpénétration entre cet élément si puissant, la mer et les manifestations de la vie humaine. Les maisons et les bateaux rongés par le sel et par le vent, le sable qui s’accumule dans les rues, la boue des crues au bord des fleuves, le cri des mouettes. La nature influe et modèle la vie humaine et l’homme influe et modèle, plus ou moins selon les éléments, la « vie » de la nature.
L’homme dans la nature
Passer quelques jours en pleine nature équivaut à une expérience spirituelle inégalable de ressourcement et de purification. Une nature connue et pas trop hostile bien sûr. Les agressions s’il y en a, viennent plutôt des hommes que de la nature. Au début on a peur de se perdre et on est mal à l’aise. La nuit, les pas d’un hérisson sur des feuilles mortes semblent être ceux d’un éléphant et dans le babil d’un ruisselet on entend des voix humaines qui chuchotent. Mais après un certain temps, on se rend compte que la Nature ne nous veut pas de mal et que, si nous marchons et séjournons en elle respectueusement, elle nous intégrera avec bienveillance.