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LE GROS

Nouvelle Révolution

LE PETIT

Encore travailler ?!

LE MOYEN

Le travail disparait. Profitons-en !

Tous les posts passés :

Trois types de contestation Les conquêtes ouvrières Les catégories de travail La fraude fiscale La politique objet de consommation Le travail valorisé Les peuples premiers

Je l'avais dit

Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.1. PRÉSENT

1.1.1. Le travail aujourd’hui

1.1.1.1. Le travail valorisé

LE TRAVAIL DISPARAÎT

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Il n’y a pas que l’industrie

Mais l’emploi tertiaire est tout aussi menacé, car soumis comme les autres à l’automatisation, la délocalisation et les hausses de productivité : la plupart des services bancaires sont actuellement effectués par les clients eux-mêmes et dans certaines chaînes de supermarchés, les clients scannent eux-mêmes leurs achats et payent à une caisse automatique. Beaucoup de guichets d’administrations aussi sont déjà remplacés par des services « on-line ». En ce qui concerne plus particulièrement les banques, secteur emblématique de la tertiarisation, l’hebdomadaire économique belge « Trends », sous-titrait ainsi une de ses enquêtes en septembre 2016 : « Entre le début des années 1980 et aujourd’hui, la sidérurgie belge a perdu 25.000 emplois. Il n’a fallu au secteur bancaire que la moitié de ce temps pour en supprimer à peu près autant. » Autre secteur, pour prendre des exemples diversifiés, le journalisme. Entre 2001 et 2010 (9 ans), le nombre de journalistes a été réduit d’un tiers au Royaume Uni et d’à peu près autant aux États-Unis entre 2006 et 2013 (7 ans) et en Australie, de 20 % entre 2012 et 2014 (2 ans) (Courrier International du 8.9.2016, repris de The Guardian le 12.7.2016)

Mis à part les changements structurels résultant de nouveaux modes de production ou d’une nouvelle répartition du travail au niveau mondial, il ne faut pas oublier que la cause principale de la diminution du travail est inhérente au capitalisme lui-même : c’est toujours à cause ou grâce à l’augmentation de la productivité, qui est réalisée pour l’augmentation des profits.

Malgré tout ça, le taux de chômage reste pour le moment stationnaire, sauf en Espagne, Grèce, Portugal et Irlande où il est très important. Et le nombre total d’heures de travail prestées dans nos pays ne diminue pas substantiellement, comme on aurait pu l’imaginer. Donc le travail industriel disparaît et l’expansion du tertiaire est limitée parce qu’il bénéficie aussi d’importantes hausses de productivité notamment grâce à l’informatique. Il n’y a que l’emploi dans les services publics qui croît, parce qu’on découvre toujours de nouveaux besoins des citoyens à satisfaire. Entre 1980 et 2008, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 36% en France. La plupart de ceux-ci font certainement un travail utile, ne fut-ce que pour compenser les dysfonctionnements de la société.

Mais la corrélation entre le travail qui disparaît et se vide et le travail qui s’étend est tout à fait paradoxale, parce que ces deux mouvements sont à priori contradictoires. Nous expliquerons ce phénomène plus loin.

L’avenir

En 2014 ont paru plusieurs études concernant des prévisions d’emploi à plus long terme. Selon une étude de deux chercheurs de l’université d’Oxford (« Le futur de l’emploi », par Carl Benedikt et Michael A. Osborne), 47 % des emplois seront remplacés par des robots endéans les 20 ans aux U.SA., ce qui fait presque la moitié. Ils dressent aussi la liste des 10 métiers les plus menacés. Qui sont : télémarketeur, officier d’état civil, couseuse, technicien en mathématique, souscripteur en assurances, réparateur de montres, agent de fret, technicien en laboratoire photo, guichetier de banque et bibliothécaire. En 2015, en Belgique, une étude donne le chiffre de 49 % des emplois menacés par l’informatique et la robotisation. Parmi les métiers menacés, celui d’employé de bureau offre une proportion de 97 % d’emplois « robotisables » ! Pour la France, l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) nous annonce le chiffre de 11,763 millions de postes de travail qui seront supprimés d’ici 2025. Sur une population active de 25,8 millions de travailleurs en 2015, cela fait 45 % d’emplois supprimés.

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023 et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

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Exceptionnellement le « Je l’avais dit » de cette semaine est extrait du petit livre rouge « Nouvelle Révolution – Encore travailler ?! », 100 pages, format 16 x 11 cm, 97 grammes.

 

IV. COMMENT FAIRE ?

LES 3 TYPES DE CONTESTATION

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La plainte, la demande ou l’exigence, la proposition.

Le 1e stade c’est la plainte. « Ça ne va pas » ou « C’est insupportable, inadmissible ». Et on en reste là ! Indignations de comptoir qui ne font qu’envenimer l’atmosphère, mettre une mauvaise ambiance, décourager, déprimer. Dans les manifs, ça donne « NON à … ! » Le pouvoir répond « Tant que ça en reste là, il n’y a pas de danger, le comptoir c’est fait pour se plaindre ». Le comptoir aujourd’hui, c’est surtout les réseaux sociaux. Et malheureusement, beaucoup se contentent de faire la révolution avec des clics.

Le 2e stade c’est la revendication. « Nous demandons ceci, nous exigeons cela ». On avance d’un cran dans la prise de conscience du problème, d’un pas vers sa résolution. On sait ce qu’on veut et on le dit. Dans les manifs, ça donne « ON VEUT ceci … ! » Le pouvoir répond « Ah, ils savent ce qu’ils veulent. Mais cause toujours, tu n’auras rien et on va essayer de faire diversion ou de donner quelques miettes ».

Le 3e stade c’est la proposition. Non seulement on sait ce qu’on veut, mais on sait comment il faut faire pour l’obtenir. Dans les manifs, ça donne « Nous voulons ceci et POUR L’AVOIR IL FAUT cela … ! ». Le pouvoir répond « Aïe, ils nous disent comment il faut faire et ils ont raison, on ne peut plus se défiler ». Ce qui n’empêche qu’il continuera à refuser, sans plus d’arguments, car il est là pour refuser les propositions aussi. 

LES PROPOSITIONS NE DOIVENT PAS ETRE ADRESSEES AU POUVOIR

Elles doivent être dirigées vers nous. Ce n’est pas parce que les politiciens sont corrompus ou incapables qu’ils ne réaliseront pas les propositions que nous ferons, c’est parce qu’ils sont redevables vis-à-vis de ceux qui leur ont donné des fonds pour leur campagne électorale plutôt que vis-à-vis de leurs électeurs. Les politiciens sont une des principales cibles du ressentiment populaire et ils sont critiqués souvent avec beaucoup de mauvaise foi. Ce ne sont pas eux en tant que personnes qui sont responsables de la situation actuelle, c’est le système. C’est lui qu’il faut changer et il y a parfaitement moyen de le faire. C’est nous qui devons nous organiser pour prendre le pouvoir pacifiquement afin de changer la société, dans la mesure où nous le voulons vraiment et de la manière que nous voulons. Pour cela, il faut d’abord savoir ce que nous voulons, au-delà de ce que nous ne voulons pas ou plus.

Ancre 12

Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.2. PASSÉ

1.2.3. Après l’introduction du travail

1.2.3.1. Les conquêtes ouvrières

Page 58

Dès le début, les travailleurs ont résisté. S’ils ont intégré la valeur-travail, s’ils l’ont admise et valorisée, s’ils ont revendiqué avec acharnement d’en avoir – même les anarchistes – ce n’était pas à n’importe quel prix. La lutte a été constante pour l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail. Autrement dit pour que les ouvriers participent un tant soit peu aux profits réalisés par les patrons grâce à leur travail.

Au début du capitalisme, les ouvriers libres travaillaient 15 heures par jour et 6 jours par semaine. Ce qui faisait des semaines de 90 heures. La journée de travail pouvait aller jusque 17 h. Il y avait énormément d’accidents et de morts, en partie à cause de la fatigue. Il n’y avait pas de vacances et le travail des enfants et des femmes était moins payé. Par-dessus tout, un chômage structurel important contribuait à garder les salaires très bas. Les conditions de travail et de vie étaient effrayantes. Nombreuses sont les enquêtes faites à l’époque sur la condition ouvrière qui en témoignent. Je ne citerai qu’un seul exemple entre mille : la durée moyenne de la vie des ouvriers à Mulhouse en 1827 était de 21 ans et 9 mois ! Un médecin de Lille décrivait ainsi en 1858 les enfants qui travaillaient en usine : « [Les enfants paraissent] des petits vieillards ridés, mous, flasques, édentés, au ventre proéminent et dur, à la poitrine en carène de vaisseau, dont l'ossature faisait saillie, les jambes grêles, le rictus douloureux. » (Les enfants au travail dans les usines au XIXe siècle – ICEM Pédagogie Freinet). Un des grands enjeux de la mise au travail généralisée a aussi été l’enfermement des ouvriers. Les usines se sont vite dotées de hauts murs, avec des portails d’entrées monumentaux et des gardiens. D’ailleurs aujourd’hui encore, on appelle une entreprise

« une boîte ».

La résistance ouvrière s’est d’abord faite par des sabotages et par des insurrections générales dans toute l’Europe en 1830, 1848 et 1871. Aussi par la grève qui a été le principal moyen de pression sur le patronat, car atteignant le cœur du processus de production de la richesse. Celle-ci n’est autorisée qu’en 1864 en France. Les syndicats eux, ne sont autorisés qu’à partir de 1884. Tout ce qui s’est passé avant comme grève ou association d’ouvriers a été réprimé sauvagement car considéré comme illégal. Un seul exemple pour montrer la résistance constante du patronat : l’évolution de l’âge minimum autorisé pour le travail des enfants en Grande-Bretagne : 1801 – 8 ans, 1819 – 9 ans, 1842 – 10 ans dans les mines, 1878 – 10 ans partout, 1891 – 11 ans. En France, c’est en 1841 qu’on interdit le travail des enfants en-dessous de 8 ans.

En 1910, la durée du travail quotidien est limitée à 10h. Entre 1918 et 1921, après la 1e Guerre mondiale, tous les pays industrialisés adoptent la journée des 8 heures et la semaine des 48 heures, c’est-à-dire de 6 jours. Le samedi n’est devenu jour de congé qu’en 1936, pour former avec le dimanche le week-end. En Belgique, le dimanche devient un jour de congé en 1905. Le samedi y est ajouté en 1955, pour faire la « semaine anglaise », avec un « week-end » sans travailler. Mais aujourd’hui, la journée de travail ne va jamais en-dessous de 7h30, et seulement dans certains secteurs privilégiés. En presque un siècle, on n’a gagné que quelques minutes sur le temps de travail quotidien ! Pour rappeler les enjeux de la journée de 8 heures, en plus de la santé et de la vie de famille des ouvriers, je citerai un extrait du numéro spécial du 1e octobre 1921 du « Mouvement syndical belge », organe du Parti ouvrier et des syndicats, célébrant le vote, qui a eu lieu le 14 juin 1921, de la loi imposant la journée de 8 heures, qui je le rappelle, prenait place dans une semaine de 6 jours : « Des sociétés de chant, de musique et d'art dramatique doivent surgir partout; des cercles d'art s'occupant de l'organisation d'expositions d'art doivent se rencontrer partout, en nombre aussi grand que possible, afin d'exhiber la science et les talents des ouvriers, et d'implanter à ceux-ci l'amour des beaux-arts. Des plaines de sport doivent être créées, pour que la jeunesse puisse se développer corporellement sous l'œil vigilant des plus âgés qui s'y intéressent et qui, par leurs bons conseils, peuvent les aider si souvent. Chaque commune de notre pays doit posséder des cercles d'études, des sections locales de notre Centrale d'Éducation Ouvrière. » L’article se conclut par le slogan « Plus de loisirs, c'est le moyen de s'élever vers une vie plus haute. » Ce numéro spécial insiste aussi sur le fait que cette diminution des heures de travail se fera sans diminution de salaire !

La Sécurité Sociale fut instaurée en France en 1945, après d’âpres négociations menées pendant la guerre. Elle fut créée sous sa forme actuelle dans tous les pays européens à la même époque, juste après la 2e Guerre mondiale. En Belgique par exemple, elle a pu être mise en place pour 3 raisons : 1° à la sortie de la seconde guerre mondiale, le peuple était armé, ce fait a contribué à un rapport de force favorable, 2° il fallait reconstruire le pays, et pour cela, il fallait que les travailleurs soient d'accord de le faire, 3° les chars soviétiques n'étaient pas loin et le gouvernement belge n'avait aucune envie de rompre avec le système capitaliste.

Rappelons quels sont les sept piliers de la Sécurité Sociale (en Belgique) : les pensions, le chômage, l’assurance contre la maladie et l’invalidité, les allocations familiales, les vacances annuelles, les accidents de travail et les maladies professionnelles. Tout ceci est l’héritier des caisses de secours et d’assistance mutuelle créées par les ouvriers au XIXe siècle sur le principe de la solidarité. Au début, elles venaient en aide aux ouvriers malades. Quant aux vacances, elles ont commencé en France en 1936, avec les deux semaines de congés payés, et en Belgique, par une semaine. Troisième semaine en 1956, quatrième en 1969. Actuellement les congés payés en Europe varient entre 20 et 30 jours.

On peut constater que si le nombre de jours de congé augmente sur l’année (week-end et vacances), le travail reste prépondérant durant les jours de travail et occupe le principal de l’année.

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023 et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

Ancre 11

Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.5. FUTUR PROCHE ou COMMENT Y ARRIVER ?

1.5.1. Les différents types de travail

Page 144

Les catégories de travail

La classe prolétaire a disparu en tant que classe ayant conscience d’elle- même et de son unité, parce qu’émiettée en catégories de travailleurs ayant des rapports tellement différents avec l’employeur qu’il ne peut plus y avoir de conscience de classe. Peut-il apparaitre une espèce de « conscience de catégorie » ? Nous verrons cela plus loin. Mais la première chose pour que cela puisse être, c’est de définir et de prendre conscience de son rapport avec l’employeur, comparé avec tous les autres rapports existants. La distinction entre ouvriers et employés n’est plus pertinente non plus, d’ailleurs elle tend à s’estomper, même légalement. Cette distinction tenait à la nature du travail et pas aux rapports avec l’employeur.

 

TABLEAU DES RELATIONS DE TRAVAIL EXISTANTES :

Travail à mi-temps avec salaire à temps plein. Je mettrai en premier lieu ce qui devra être la norme à l’avenir. Donc pour le moment, le but à atteindre.

Travail classique. C’est le travail rémunéré raisonnablement. Le « raisonnablement » peut être extrêmement variable, au point de vue du salaire lui-même et au point de vue de la couverture par la Sécurité sociale. Néanmoins il se différencie du travail fortement sous-payé, que j’appelle travail d’esclave. Cette catégorie se divise en trois.

Travail classique rémunéré selon les normes des pays capitalo-socialistes.[1] (2) (Les numéros renvoient au tableau ci-dessous) La notion de rémunération inclut les conditions de travail (nombre d’heures, sécurité, santé et hygiène) et les avantages sociaux, auxquels on ne recourt pas forcément. 


Travail classique rémunéré selon les normes de pays capitalistes purs. (3) Ce sont en Europe, les anciens pays du bloc soviétique qui ont rejoint l’Union européenne. Ils sont passés à un régime d’économie capitaliste, tout en ayant perdu tous les acquis sociaux du socialisme. Ils sont donc payés très peu, pour des travaux avec un minimum de sécurité et de sécurité sociale, mais se différencient quand même de la catégorie « esclaves ». La différence tient aussi à la nature du travail : qualifié dans le premier cas, non qualifié dans le second. Pour certains travaux, comme par exemple dans la construction, l’employeur ne peut pas prendre le risque d’utiliser des travailleurs non qualifiés. Sur les autres continents, il y a moins de différence entre ces deux catégories car les pays ne disposent pas toujours, à proximité immédiate, d’un réservoir de travailleurs qualifiés prêts à travailler dans ces conditions.

 
Travail sur-rémunéré. (4) C’est celui des top-managers qui, tout en étant des salariés comme les autres, ont des rémunérations excessivement importantes, additionnées de primes et d’avantages en nature qui paraissent toujours faramineux pour le commun des mortels. Ce sont les courroies de transmission entre les capitalistes siégeant dans les conseils d’administration, propriétaires des entreprises, et les entreprises elles- mêmes. L’importance de leurs salaires laisse entrevoir une idée des profits que les actionnaires en tirent. C’est la récompense de leur efficacité à produire des dividendes. 


Travail très qualifié très peu payé et travail bénévole. (5) Ce sont principalement les jeunes diplômés universitaires qui font un travail dans leur domaine, très peu payé comme stagiaire. Statut qui peut se prolonger. Sont concernés surtout les avocats et les architectes. Les bénévoles, sans ou avec une très petite compensation en nature, font un travail qui peut être qualifié ou non, mais qui est considéré comme prestigieux, sinon il n’attirerait pas de bénévoles.

 
Travail d’esclave. C’est le travail excessivement peu rémunéré, effectué dans des conditions pénibles ou dangereuses et sans couverture sociale. Au contraire de la catégorie précédente, il est très peu ou pas du tout qualifié. Il se divise aussi en deux sous-catégories. 


Esclaves cachés. (6) Il s’agit d’une relation de travail qui renoue avec l’esclavage proprement dit, avec l’appropriation des êtres humains travailleurs, qui peut comprendre la séquestration, la confiscation des papiers s’ils en ont, la dette perpétuelle et les mauvais traitements, y compris les sévices sexuels. Ce sont les clandestins, illégaux, sans papiers et prostituées. Ils font des vêtements dans des ateliers clandestins, la plonge dans les restaurants, des travaux sans qualification sur les chantiers, la cueillette dans les vergers, travaillent dans les abattoirs, sont domestiques à domicile, pratiquent la prostitution sur les trottoirs et encore d’autres travaux qu’on n’imagine même pas. 

Esclaves modernes. (7) C’est le travail « offert » par les entreprises nouvelles comme « Amazon » ou « Uber », qui en plus, ne paient pas d’impôts.

A côté de cela, hormis les chômeurs, il y a des gens qui ne travaillent pas, qui pourraient le faire, mais qui ont peu de chances d’un jour entrer ou rentrer dans le « monde du travail ». Ils sont subdivisés en deux catégories.

Les jeunes sans formation (8) ou en décrochage de l’école. Ils n’ont la plupart du temps pas droit au chômage.

Les chômeurs de longue durée. (9) Souvent des gens qualifiés et d’un certain âge ... c’est-à-dire passé 40 ans.

Ceux qui ne travaillent pas mais qui ne pourraient pas le faire ne sont pas pris en compte dans cette classification : pensionnés, handicapés lourds, malades chroniques, inadaptés sociaux. Ils sont pris en charge par la solidarité de la société, c’est-à-dire la Sécurité sociale, les CCAS (CPAS en Belgique) ou par les œuvres de charité, organisées ou non. Certains ne sont pas pris en charge du tout.

La relation de travail qui relève du monde futur, à savoir le travail à mi- temps avec salaire de plein temps (qui devrait avoir le n°1) n’est pas repris dans ce tableau. Le travail bénévole dans les associations, qui existe déjà, est repris en italique, car il est déjà une amorce du monde futur. Il y en a qui diront que le « non qualifié - bien payé » est le cas aussi des footballeurs et des chanteurs vedettes. Je répondrais que ce sont des travaux tout à fait qualifiés, même s’ils ne sont pas précédés d’un diplôme.

​[1] C’est-à-dire principalement en Europe occidentale

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023

et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

Ancre 10

Chapitre 2 – FINANCES PUBLIQUES ET ÉCONOMIE

2.3. La fraude fiscale

[…]

Chiffres

[…]  Page 204

Tous ces impôts éludés ont pour conséquence l’accumulation de réserves de liquidités colossales. En 2014, 14 firmes américaines des secteurs technologiques et pharmaceutiques, dont Apple, Microsoft, Google, Pfizer, Johnson & Johnson auraient accumulé 500 milliards de dollars de réserves de trésorerie dans des pays comme les Bermudes, l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg, où elles bénéficient des régimes fiscaux les plus favorables. (D’après une étude du Financial Times, reprise par le site d’information Express.be) On peut noter qu’au moins 3 pays européens sont concernés. Ceci parce que ces entreprises paient en moyenne 10 % d’impôt des sociétés dans ces paradis fiscaux, alors que la moyenne dans les 33 pays de l’OCDE est de 25,15%. Officiellement en 2014, les plus hauts taux de l’impôt sur les sociétés se situent à 33.99 % des bénéfices en Belgique, 33,33 % en France, 30,2 % en Allemagne, les plus bas à 12,5 % en Irlande et 10 % en Bulgarie. Mais en réalité, avec le système dit des « intérêts notionnels », ce taux est de 11,6 % en Belgique et avec une bonne ingénierie fiscale, il peut être ramené à 0% Même chose en Irlande, pour ne citer que ces deux pays, où le taux réel peut être ramené à 2 %. Toutes ces réductions et exemptions ne sont bien sûr pas possibles pour les impôts sur les revenus.

En septembre 2016, Bayer a acheté Monsanto pour 58,7 milliards d’euros. A titre de comparaisons, le budget annuel du Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique avec 174 millions d’habitants, s’élevait en 2012 à 20,3 milliards d’euros. C’est aussi quelques milliards de plus que le PIB de l’Uruguay ou de la Biélorussie. Je ne dis pas que cet argent provient forcément de la fraude fiscale, mais qu’il y a des réserves suffisantes pour faire un peu de redistribution, que ce soit sous forme de salaires individuels ou de contribution au bien public via l’impôt.

En ce qui concerne les agents de la fraude, à savoir certaines banques, je ne citerai que l’affaire « Swiss Leaks », qui a concerné la filiale suisse de la banque HSBC (Hong Kong and Shanghai Banking Corporation) en 2015. En février 2014, le journal Le Monde reçoit une clé USB contenant les archives numérisées de la banque entre novembre 2006 et mars 2007, et engage une enquête d'un an qui mobilise 154 journalistes de 47 pays et d'une soixantaine de médias internationaux, coordonnés par l'ICIJ, consortium de journalistes d’investigation. A été mise à jour, une fraude de 180,6 milliards d’euros seulement pour les années 2006 et 2007, dont 6,2 milliards pour la Belgique et 5,7 milliards pour la France. Les autres pays concernés sont la Suisse, le Royaume-Uni, le Venezuela et les États-Unis. La France ne se classant qu’en 5e position par rapport aux montants cumulés des dépôts.

Aux dernières nouvelles, en 2017, le Financial Times estimait entre 8.000 et 10.000 milliards de dollars, les montants déposés dans les paradis fiscaux, ce qui représente 10 % de la richesse mondiale.

Le passé récent

On peut faire l’hypothèse, qui par nature est difficile à vérifier, qu’il y a eu une nette augmentation de la fraude fiscale en même temps que la croissance de la redistribution s’est arrêtée, c’est-à-dire à la fin des années ’70 (voir les 3 graphiques du chapitre « Évolution de la redistribution »), que ce soit avec ou sans la collaboration des États. Il n’y a pas de raison en effet, que le Capital n’ait pas joué simultanément sur les deux tableaux. Ce serait à partir de cette période que la fraude massive se serait généralisée et sur des échelles beaucoup plus grandes qu’auparavant.

2.4. La richesse

Les riches toujours plus riches

En 2009, la part de la richesse mondiale possédée par le 1% des personnes les plus riches du monde s’élevait à 44%, en 2014, à 48%. En 2016, on prévoit que cette part passera le seuil des 50% (selon une étude d’Oxfam, citée par le site « Express. Be » le 19.1.2015). Ce qui fait que 1% des plus riches possédera plus que les autres 99%. Autre mode de calcul (toujours selon Oxfam), en 2016, 8 personnes totalisaient effectivement 426 milliards $, tandis qu’une moitié de l’humanité ne possédait que 409 milliards $. Innombrables sont les études, au niveau mondial ou par pays, qui dénoncent ces disparités, qui ne font que s’accroitre continuellement. Mais elles en restent là, suscitant indignation ou découragement. Personne n’envisage des mécanismes concrets de redistribution partielle de ces richesses. Ne serait-ce pas mérité ?

Au début de 2014, selon le classement annuel de la revue Forbes, il y avait 1.645 milliardaires en dollars sur la planète, ce qui représente exactement 0,0001 % (ou 1/10.000e) de la population mondiale. Cela constitue une augmentation de 15 % par rapport à l’année précédente. Le patrimoine global qu’ils détiennent est de 6.400 milliards de $, soit 19% de plus que l’année précédente. Si on y inclut les millionnaires, en 2013 il y avait 13,7 millions de personnes possédant une fortune cumulée de 52.600 milliards de $, avec des pourcentages d’augmentation similaires (d’après Capgemini et la banque RBC, cités par le site Express.be). Si on calcule autrement, toujours pour 2014, et qu’on prend comme exemple la Belgique, on constate que 20 % des ménages s’approprient environ la moitié des revenus annuels totaux perçus, 10 % s’approprient un tiers des revenus totaux et 1 % des plus riches, 7,5 %. Même proportion en Suède, où 10 % s’approprient aussi un tiers des revenus totaux, tandis qu’en Grande- Bretagne, c’est un quart et en France un cinquième. (quotidien « Metro », 9.9.2014).

Mais le chiffre le plus intéressant, c’est qu’en 1970, en Grande-Bretagne, 10 % des bénéfices des entreprises étaient reversés aux actionnaires, tandis qu’en 2016, c’est 70 %. En 2017, 1.000 milliards d’euros ont été versés à leurs actionnaires par les 1.200 plus grands groupes cotés en bourse du monde. Ce montant, qui est un record historique, est en hausse de 7,7 % par rapport à 2016 et en hausse de 71 % par rapport à 2009 ! (quotidien Le Monde, 21.2.2017). Même si ces montants en chiffres absolus, hors de tout contexte, ne sont pas forcément significatifs en eux-mêmes, il faut toujours les rapprocher avec le fait que la masse salariale n’augmente pas, voire diminue (salaires x nombre de travailleurs), parce que même si les salaires individuels augmentent un peu, le nombre total de travailleurs diminue, et que la fraude fiscale elle, augmente.

Ce qui est remarquable aussi, c’est qu’en 2014, 40 % de la richesse nette avait été créée durant les 5 années qui précédaient, années où la crise et les problèmes sociaux se sont approfondis. Actuellement, plus le Capital s’enrichit, plus le Monde s’appauvrit. Mais le problème n’est pas l’argent et si ça les rend heureux, ce qui n’est pas sûr, c’est tant mieux pour eux. Mais le véritable enjeu, c’est le pouvoir que donne l’argent et pas l’argent lui-même. Sous l’Ancien Régime, le pouvoir venait de la naissance. Dans le régime actuel, il vient de l’argent. L’argent est plus puissant que le pouvoir politique. Peut-on espérer un monde où le pouvoir, si les gens estiment encore en avoir besoin, viendrait des compétenceset du dévouement à la cause publique ? Mais ce ne sont pas que ces gens-là qui dirigent le monde. Et d’ailleurs, comment être sûr que Forbes n’ait oublié personne, qu’il ait tout retrouvé ? Les anonymes les plus dangereux, ce sont les actionnaires des groupes financiers qui font de l’argent avec des populations entières, des secteurs industriels, des pays. Le problème est et reste toujours l’exploitation. On peut être riche sans exploiter. Peut-être un peu moins riche ... matériellement.

L’argent soustrait frauduleusement aux impôts se retrouve soit dans des patrimoines privés, dont une partie est tellement excédentaire que son propriétaire ne sait même plus le dépenser, soit dans des patrimoines de sociétés. Cet argent-là apparaît lors des acquisitions d’entreprises où tout d’un coup, des centaines de millions voire de milliards sont mis sur la table. Ces grands regroupements monopolistiques vont d’ailleurs à l’encontre de l’esprit du capitalisme qui prône la concurrence...

Ancre 9

Chapitre 3 – POLITIQUE

3.2. TRANSITION : DÉCLIN DE LA POLITIQUE

3.2.1. Déclin par la marchandisation

Page 253

3.2.1.2. La politique comme objet de consommation

Nous savons depuis le concept de « fétichisme de la marchandise » de Marx, que non seulement les objets sont amenés à se transformer en marchandises, mais aussi les êtres humains impliqués dans les rapports de production. Après cela, la marchandisation s’est étendue progressivement à tous les aspects de la société. Un des domaines où cette transformation a été la plus spectaculaire est celui de la politique. La première campagne électorale qui s’est faite comme une campagne publicitaire a été celle d’Eisenhower pour la présidentielle américaine en 1952, conçue par le publicitaire Rosser Reeves. Ce système est pleinement utilisé en France depuis la campagne de François Mitterrand en 1981, confiée à Jacques Seguela, fondateur de l’agence RSCG. Depuis lors, les techniques publicitaires et de marketing s’appliquent à presque tous les hommes politiques, qui sont devenus des objets produisant un service, la politique, qui est devenue un « service » comme les autres. Ils sont donc promus et jugés selon deux aspects, leur look et leurs performances, comme par exemple une machine à laver. Or ce n’est pas si simple, parce que par ailleurs, ils restent des êtres humains, qu’on voit vivre, s’exprimer et qu’on peut à l’occasion côtoyer. On a donc toujours la possibilité d’oublier le côté marketing qui est derrière et qu’ils doivent endosser plus ou moins, selon leur volonté de réussite. Faire oublier le marketing est tout l’art du marketing politique. D’autre part, en opposition avec les «vraies» marchandises, le prix est unique et peu élevé : c’est un bulletin de vote.

L’indice de satisfaction

A la différence de l’action des services publics qui s’adresse à tous de manière indifférenciée selon les différents secteurs, l’« action » politique s’adresse à tous mais en considérant une collection d’individus particuliers. De la même manière que le marketing, qui prend comme cible des segments de clients potentiels, en les prenant chacun comme des personnes individuelles, le « produit » étant dans ce cas-ci, l’homme ou la femme politique. C’est ce qui justifie le fait de procéder à des sondages et des enquêtes de satisfaction qui déterminent ce qui porte le nom significatif de cote de popularité. Qui se rapporte, on pouvait s’en douter, sur l’action politique ET sur la vie privée ET sur l’apparence et la conduite de la personne évaluée.

Les politiciens les plus en vue sont évalués en permanence. A intervalles réguliers, des sondages produisant une « cote de popularité » révèlent leur niveau de performances, au pourcent près ! Qui fluctue comme les cours de la Bourse. En fait, il ne s’agit pas directement des performances mais plutôt du niveau de satisfaction des électeurs par rapport à ces performances supposées. Il est sous-entendu que cette satisfaction s’applique à l’action politique de l’élu, mais en fait pas du tout. L’action politique réelle n’est pas prise en compte parce qu’elle est ignorée. Il est hautement significatif que cette cote ne s’applique pas à l’action elle- même, que peu de gens sont compétents et suffisamment informés pour juger, mais elle s’applique plutôt à l’impression que les gens ont de cette action. Ce qui compte donc c’est l’apparence, et les politiciens ne s’y trompent pas en privilégiant la communication sur les 1er et 2ème niveaux de la politique et pas sur le troisième, qui est celui de la gestion courante.

C’est la même logique que celle de l’audimat. C’est le peuple qui évalue, mais à propos d’images d’êtres humains. Ce qui est le plus étonnant, c’est que la presse fait croire que cette « cote » a un certain pouvoir. Quand la cote baisse, on craint pour la place de l’élu ! C’est comme si, passé sous la barre des 50% par exemple, le politicien serait révoqué, banni par le peuple. Or il n’en est rien bien sûr, ce ne sont que des élections qui pourraient le faire. Et un politicien, pour ce qui concerne sa politique, n’est jamais révoqué définitivement. Il y a donc deux logiques parallèles de l’évaluation des politiciens. L’une est réelle, exercée à certains moments par les élections, où elle ne se fait pas vraiment parce qu’ils sont toujours réélus, ou au pire, ils «passent un tour». L’autre est exercée en permanence par les sondages, mais elle n’a aucun effet réel non plus. En fin de compte, toutes les deux portent sur l’image, mais dans le premier cas, le peuple ne peut dire que oui ou non, tandis que dans le deuxième, il en résulte une « cote » extrêmement précise.

Le retour sur investissement

Revenons au point de vue individuel. Le citoyen, dans la logique consumériste, évalue le « retour » réel ou imaginaire qu’il a de la part de son élu. Il évalue le rendement de son investissement. Il monnaie la croix qu’il inscrit dans l’isoloir. L’initiative s’est donc renversée. Avant, le politique allait chercher des électeurs et leur demandait quel service il pouvait leur rendre, maintenant ce sont plutôt les électeurs qui vont chercher les politiques et leur proposent des services à rendre. C’est l’inverse du clientélisme. Ces « services » ne sont pas toujours à portée individuelle, mais ce sont parfois des demandes faites par des citoyens, présentées comme d’intérêt collectif, mais en réalité, servant des intérêts personnels ou de petits groupes.

Je vise ici en particulier certaines demandes formulées par des comités, qui contredisent d’autres intérêts collectifs parfois plus généraux. Cette attitude peut aller jusqu’au chantage et il est de plus en plus fréquent d’entendre des électeurs déclarer publiquement à des élus : « Si vous faites ça ou si vous ne faites pas ceci, je ne vote pas ou plus pour vous ». Ceci manifeste l’aboutissement du mépris envers les politiques, dans ce cas-ci, pas parce qu’ils seraient pourris ou susceptibles de scandales, mais parce qu’une marchandise, si elle ne satisfait pas on la jette, tout en regrettant l’argent perdu, en l’occurrence le vote.

Autre attitude perverse de l’électeur-consommateur, c’est de comparer en permanence les élus et faire jouer la concurrence. Ce qui se fait sciemment et explicitement, par exemple en adressant la même demande à plusieurs élus, pour voir celui qui va répondre le plus vite, ou le mieux.

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Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.1. PRÉSENT

1.1.1. Le travail aujourd’hui

1.1.1.1. Le travail valorisé

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LE TRAVAIL SE VIDE

En même temps que le travail s’étend comme une tache d’huile pour s’immiscer jusque dans les moindres recoins de ce qui s’appelait la vie privée, il se vide de sa substance pour devenir de plus en plus abstrait, déconnecté de la réalité et … inutile.

LE SURTRAVAIL, QUI A POUR OBJET SON PROPRE TRAVAIL

Une grande part du travail actuel a pour objet le travail lui-même, son propre travail. En plus de produire ce qui a une certaine utilité sociale, produit ou service, on demande au travailleur de faire un important travail sur son travail. Ce qui prend de plus en plus de temps et ne fait que différer et rendre plus difficile l’accomplissement de la tâche principale. Citons des exemples.

Avant de commencer une tâche, au lieu de s’y mettre tout de suite, il faudra faire un planning comprenant des deadlines, en français des « dates limites ». Ce qui laisse sous-entendre que ce sont des « dates au-delà de laquelle on est mort ». Celles-ci sont soit trop lointaines et le travailleur ne fait rien au début et commence seulement quand la date approche, soit trop proches et le délai sera d’office dépassé. Sans autre sanction que le stress et une désapprobation de la hiérarchie, qui avait d’ailleurs dû valider le planning au préalable, ce qui a aussi pris un certain temps de négociations. Il faut aussi remplir des « check-list » pour voir si on n’a rien oublié. Travail inutile après avoir effectué́ une ou deux fois la même tâche. Ceci donne du travail aux rédacteurs des check-lists. Il y a aussi les rapports qui clôturent un travail et retardent le début du suivant. Et le rapportage, qui consiste en l’expression orale du rapport devant son ou ses chefs. Pur acte de renouvellement de la soumission, car le chef est censé savoir lire.

La manière d’organiser le travail, avec la prépondérance des réunions qui prennent régulièrement la moitié du temps actif est un des facteurs principaux de sa vacuisation. Que ce soit des réunions de service ou de sous-service ou des comités d’accompagnement ou autres, elles sont par essence inutiles à l’accomplissement d’un travail productif. Ce ne sont que mises en scène des rapports hiérarchiques, moyens pour retarder ou complexifier des décisions, exposés avec Powerpoint pour ceux qui n’ont pas lu les rapports, expression d’avis qui auraient pris quelques minutes s’ils avaient été rédigés et envoyés par mail. C’est une manière de faire son travail collectivement et relationnellement qui est totalement improductive. Ce qui n’est pas le cas du travail d’équipe, qui ne se fait pas par réunions.

Une autre nouvelle manière de travailler qui fait perdre beaucoup de temps, est le workshop. Quand la direction prend une décision, au lieu de l’imposer simplement, le workshop permet de faire croire que ce sont les travailleurs qui ont élaboré eux-mêmes la décision, après moultes discussions et brainstormings. Ces workshops ne faisant qu’exprimer ce que tout le monde sait et proposer des solutions ou des non-solutions, auxquelles tout le monde s’attend. C’est un retour à la maïeutique de Socrate, dont le but ici n’est pas de trouver la vérité, mais plutôt de trouver ce qui rapporte plus au patron.

Les formations prennent aussi énormément de temps et si on voulait en garder les parties utiles, elles pourraient être réduites à 1/10e de ce qu’elles sont actuellement. La plupart consistent en formatage à la soumission et en lavage de cerveau pour persuader que le travail est la chose la plus « épanouissante » dans la vie. Quelques exemples de formations proposées : « Efficacité personnelle », pour augmenter son rendement ; « Assertivité », mais pas pour dire merde au patron ; « Progresser dans sa carrière » ou comment écraser les collègues et bien frotter la manche au chef ; « Travailler dans le respect de l’autre », tiens donc ; « Gérer le changement », pour être prêt à tout.

Il y a aussi les évaluations que l’on doit subir à intervalles plus ou moins rapprochés, qui prennent du temps, et qui impliquent aussi des formations sur l’évaluation, tant pour les évalués que pour les évaluateurs. Le comble du raffinement est l’auto-évaluation. Les évaluations, en plus de mettre le travailleur totalement à la merci de son supérieur et évaluateur, le met sous une pression permanente. En fait, il n’est pas évalué sur ses performances, ou si peu, mais surtout sur ses aptitudes comportementales, sa docilité, ses capacités à communiquer avec ses supérieurs de la manière désirée. Il y en a qui sont évalués sur leur degré de participation aux activités collectives. Comme les « team buildings ». Il y a intérêt à ne pas être trop timide. Bref, il faut être dans le moule voulu par le patron surtout au point de vue caractère et attitude. Ce qui est une intrusion autoritaire et directive au plus intime de l’individu. Je dirai dans le chapitre « Mise en œuvre » ce que je propose de faire avec les formateurs et les évaluateurs.

Les études préalables d’incidences, d’impact, de faisabilité augmentent aussi fortement la part de travail non productif, mais elles sont un signe de la rentabilité décroissante des investissements publics. On est de moins en moins sûr de l’utilité des grands travaux et les effets secondaires néfastes prennent de plus en plus de poids. A tel point qu’on préfère « noyer le poisson » dans ces études préalables qui parfois, n’en finissent pas. Nous examinerons ce phénomène en détail au chapitre « Politique »

Il y a aussi toutes les activités de « culture d’entreprise » comme les team buildings et séminaires résidentiels à la campagne, qui viennent s’ajouter aux traditionnelles fêtes de départ, départ à la pension, promotion et Nouvel An. Même si on peut trouver un agrément aux activités genre « team building », il ne faut pas oublier que le but est d’augmenter la rentabilité du travailleur, même si c’est en lui prenant des jours de travail.

Un indice significatif : sur la page d’accueil du réseau informatique d’une grande entreprise publique, nous avons vu que sur 12 icônes, il n’y en avait que 2 qui concernaient le travail à proprement dit...

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023 et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

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Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.2. PASSÉ

1.2.1. Avant le travail

1.2.1.1. Les peuples « premiers »

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« Premiers », cette nouvelle appellation pour « primitifs » n’étant pas encore tout à fait entrée dans les mœurs, je la mets entre guillemets. De nombreuses études ethnographiques ont montré que s’ils devaient, comme toutes les collectivités humaines, agir pour se procurer de la nourriture, se vêtir, se protéger des intempéries et fabriquer des objets, ce n’était jamais perçu comme un travail. Ces activités étaient effectuées par tous, hommes et femmes, enfants et vieillards, selon des répartitions variables selon les compétences, les peuples et les époques.

J’ai déjà cité les caractéristiques fondamentales du travail, à savoir l’effort et la récompense, c’est-à-dire une jouissance différée qui compense le désagrément du travail. À cela s’ajoute l’aliénation quand on travaille pour un autre. Ces activités n’étaient pas perçues comme un travail, pas parce qu’elles procuraient une jouissance immédiate ou n’étaient pas effectuées pour d’autres, mais parce qu’elles n’occupaient qu’un temps réduit et qu’elles avaient une finalité immédiate et concrète. Avec nos 8 heures par jour et 40 heures par semaines, nous « travaillons » infiniment plus qu’eux, quel que soit le climat, inhospitalier ou favorable. Ceci sans aucune idéalisation. Si c’est un peuple chasseur, la chasse s’arrête après avoir pris le gibier pour la journée, voire pour plusieurs jours ; si ce sont des agriculteurs, le gros des travaux, ce sont les labours, les semailles et les récoltes ; si ce sont des éleveurs, ce sont les naissances et les abattages, qui sont rares. Quand on construit une maison, on la garde tant qu’elle tient et il n’y a pas de loyer à payer par après. Quand on fait un pot en terre ou une natte en roseau, ils durent très longtemps et on n’en fait pas plus qu’il n’en faut. Toutes les activités que nous considérons comme non productives, fêtes, jeux, visites, palabres, ne rien faire, prennent autant de temps si pas plus, que les activités productives et n’ont pas un statut différent. Pour ne citer qu’un seul exemple parmi des centaines, Margaret Mead, dans le classique de l’anthropologie « Mœurs et sexualité en Océanie » (éditions Terre Humaine), écrivait en 1928 à propos des indigènes des îles Samoa, que « Le travail est fait de tâches nécessaires à la vie du corps social. [...] Le travail n’est pas un moyen d’obtenir des loisirs. [...] Le travail est l’activité permanente de tous, personne ne peut s’y dérober, peu en sont surchargés [...] Il y a toujours du temps libre, des loisirs – qui, notons le bien, sont le corollaire nullement d’un travail acharné ou d’un capital amassé [...] »

Ce « travail » minimum pour satisfaire aux nécessités de la vie physique et sociale a pourtant engendré des sociétés d’abondance. Ce qui signifie avoir assez à manger, avec un surplus pour les périodes entre les récoltes ou entre les périodes de chasse ; être suffisamment protégé des rigueurs du climat et des intempéries, avoir des objets pour les commodités de la vie. Le chiffre de la population étant finement adapté aux ressources naturelles offertes par le milieu, grâce à la contraception et l’avortement qui de tous temps, ont servi à adapter la demande (quantité de population) à l’offre (ressources disponibles d’un territoire), sans aucune connotation morale. Et s’il y a encore des surplus, ils sont utilisés pour des dons rituels. Ils sont souvent même produits à cet effet.

Bien sûr, les sociétés les plus précarisées, à cause de conditions naturelles particulièrement rudes, ont pu connaître des périodes de disette et de famine. Et c’est un des mérites du capitalisme d’offrir la possibilité de les supprimer en augmentant substantiellement la productivité. Dans nos pays, l’abondance n’est arrivée qu’après la 2nde Guerre mondiale. Bien qu’actuellement, il y ait de plus en plus d’exclus.

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023 et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

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Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.1. PRÉSENT

1.1.1.1. Le travail valorisé

LE TRAVAIL DISPARAIT

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Il n’y a pas que l’industrie

Mais l’emploi tertiaire est tout aussi menacé, car soumis comme les autres à l’automatisation, la délocalisation et les hausses de productivité : la plupart des services bancaires sont actuellement effectués par les clients eux-mêmes et dans certaines chaînes de supermarchés, les clients scannent eux-mêmes leurs achats et payent à une caisse automatique. Beaucoup de guichets d’administrations aussi sont déjà remplacés par des services « on-line ». En ce qui concerne plus particulièrement les banques, secteur emblématique de la tertiarisation, l’hebdomadaire économique belge « Trends », sous-titrait ainsi une de ses enquêtes en septembre 2016 : « Entre le début des années 1980 et aujourd’hui, la sidérurgie belge a perdu 25.000 emplois. Il n’a fallu au secteur bancaire que la moitié de ce temps pour en supprimer à peu près autant. » Autre secteur, pour prendre des exemples diversifiés, le journalisme. Entre 2001 et 2010 (9 ans), le nombre de journalistes a été réduit d’un tiers au Royaume Uni et d’à peu près autant aux États-Unis entre 2006 et 2013 (7 ans) et en Australie, de 20 % entre 2012 et 2014 (2 ans) (Courrier International du 8.9.2016, repris de The Guardian le 12.7.2016)

Mis à part les changements structurels résultant de nouveaux modes de production ou d’une nouvelle répartition du travail au niveau mondial, il ne faut pas oublier que la cause principale de la diminution du travail est inhérente au capitalisme lui-même : c’est toujours à cause ou grâce à l’augmentation de la productivité, qui est réalisée pour l’augmentation des profits.

Malgré tout ça, le taux de chômage reste pour le moment stationnaire, sauf en Espagne, Grèce, Portugal et Irlande où il est très important. Et le nombre total d’heures de travail prestées dans nos pays ne diminue pas substantiellement, comme on aurait pu l’imaginer. Donc le travail industriel disparaît et l’expansion du tertiaire est limitée parce qu’il bénéficie aussi d’importantes hausses de productivité notamment grâce à l’informatique. Il n’y a que l’emploi dans les services publics qui croît, parce qu’on découvre toujours de nouveaux besoins des citoyens à satisfaire. Entre 1980 et 2008, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 36% en France. La plupart de ceux-ci font certainement un travail utile, ne fut-ce que pour compenser les dysfonctionnements de la société.

Mais la corrélation entre le travail qui disparaît et se vide et le travail qui s’étend est tout à fait paradoxale, parce que ces deux mouvements sont à priori contradictoires. Nous expliquerons ce phénomène plus loin.

L’avenir

En 2014 ont paru plusieurs études concernant des prévisions d’emploi à plus long terme. Selon une étude de deux chercheurs de l’université d’Oxford (« Le futur de l’emploi », par Carl Benedikt et Michael A. Osborne), 47 % des emplois seront remplacés par des robots endéans les 20 ans aux U.SA., ce qui fait presque la moitié. Ils dressent aussi la liste des 10 métiers les plus menacés. Qui sont : télémarketeur, officier d’état civil, couseuse, technicien en mathématique, souscripteur en assurances, réparateur de montres, agent de fret, technicien en laboratoire photo, guichetier de banque et bibliothécaire. En 2015, en Belgique, une étude donne le chiffre de 49 % des emplois menacés par l’informatique et la robotisation. Parmi les métiers menacés, celui d’employé de bureau offre une proportion de 97 % d’emplois « robotisables » ! Pour la France, l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) nous annonce le chiffre de 11,763 millions de postes de travail qui seront supprimés d’ici 2025. Sur une population active de 25,8 millions de travailleurs en 2015, cela fait 45 % d’emplois supprimés.

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023 et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

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Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.4. FUTUR

1.4.4. Rappel : les deux causes de « l’activisme »

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Il y a la cause interne, que je viens de décrire et qui vient du désir de créer, d’inventer, de bouger, de se surpasser, de fabriquer, d’apprendre, de voyager, d’entrer en relations, d’aider, de spiritualiser, de jouir, présents dans tout être humain, ce que le travail empêche en grande partie. Il y a aussi la cause externe, qui vient de la disparition irrémédiable du travail ou de son vidage de substance tel qu’il ne vaut plus la peine ni qu’il n’y a plus aucun intérêt à le faire, à part financier. Si l’apparition, la prise en compte, la promotion et l’extension de l’activité a donc une face allons de l’avant et libérons-nous, elle a aussi une face adaptons-nous à l’évolution que le capitalisme nous impose. Les activistes veulent réduire le travail, les capitalistes le détruire. Ou alors revenir au travail précaire ou à l’esclavage.

Anticiper la réduction du travail

Le travail ne va jamais disparaître tout à fait mais sa quantité sera substantiellement réduite. Ce processus est en train de prendre de l’ampleur et on refuse d’en tirer les conséquences. Je rappelle les chiffres que j’ai donnés au paragraphe « Le travail disparaît » : France, 45 % de disparitions, États-Unis, 47 %, Belgique, 49 %. Tout ceci à une échéance de 10 à 20 ans. Ce qui est magique dans ma proposition, c’est que la réduction du temps de travail de 50% correspond presque tout à fait avec le pourcentage des emplois qui vont disparaître ! Ce serait trop facile, et dans le fond quand même inadmissible, que les capitalistes suppriment la moitié des emplois existants et se tirent en laissant la société se débrouiller. Il faut rappeler que d’une part, ce sont les travailleurs qui payent les chômeurs via leurs cotisations à la Sécurité sociale et qu’avec un taux de 50 % de chômeurs ce ne serait plus possible et que d’autre part, chaque emploi supprimé fait augmenter les bénéfices du patron de la valeur d’un salaire brut. Une redistribution ne fut-ce que partielle est donc indispensable et tout à fait légitime.

Le paradoxe tragique de notre société, et qui est surtout le fait de la gauche «travailliste», est d’absolument vouloir maintenir le travail, contre l’évolution du capitalisme et aussi contre le désir des gens et même leur propres désirs intimes. A leur décharge, nous avons le fait que le désir d’activité est très peu exprimé, ou alors avec une teinte de culpabilité, que la valeur « travail » reste au centre de notre conception de la vie et qu’elle n’a pas encore été remplacée par une autre, et que sans valeurs on n’est rien. Nouvelle Révolution a pour objectif de remédier à cette carence.

Cela fait déjà longtemps que nous avons cessé de travailler

Par ailleurs, depuis environ trois décennies déjà, la plupart des gens ne font plus un vrai travail. Nous avons vu dans « Le travail se vide » que le travail actuel est majoritairement un simulacre. Travail absurde, inutile, « boulot de merde », qui va jusque dans plus de cas qu’on ne l’avoue « être carrément payé à ne rien faire ». Le vrai travail, celui qui fatigue, qui salit, qui nécessite son intelligence, son habileté, son ingéniosité, son savoir- faire, son expérience ou celui des anciens, qui est aussi le travail utile, immédiatement ou dans un avenir proche, est effectué en grande partie par des immigrés. Tout le tragique du populisme est de nier cette réalité.

Nous sommes donc prêts pour les activités. Grâce à eux.

Extrait de « Le travail disparait. Profitons-en ! », L’Harmattan, 2023

et de « Nouvelle Révolution », Les 3 cultures, 2018

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Chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITE

1. 1. PRÉSENT

1.1.3. Pourquoi il y a le travail alourdi et précaire ?

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L’entropie

Pour finir, ce ne sera pas la baisse du profit qui mettra en péril le capitalisme, mais sa hausse, qui va tôt ou tard se heurter à des limites. Dont la plus décisive sera la disparition progressive du travail par la poursuite de l’automatisation et des délocalisations, ce qui devrait entraîner aussi à plus long terme une diminution de la consommation. Ceci concerne surtout les pays développés, car le travail a encore de beaux jours sur le reste de la planète. Quant à l’épuisement des ressources naturelles, ce n’est pas vraiment un problème car, quand l’une a été épuisée, on en a toujours trouvé d’autres. L’angoisse devant le risque d’épuisement des ressources naturelles, comme le fameux « pic pétrolier », est contredit régulièrement par des découvertes de nouveaux gisements, notamment ceux du gaz de schiste. Ce n’est qu’une métaphore de notre angoisse devant la fin pressentie de notre système économique et politique. Il en va de même pour l’angoisse devant le caractère limité de la surface de la Terre, qui n’est pas du tout partagée dans les pays émergents. Ce qui mènera à la fin du système, nonobstant sa capacité d’adaptation, c’est simplement le fait que tout système en expansion se désagrège à un certain moment par entropie, à moins qu’on ne renverse la vapeur avant pour tendre vers un certain degré d’ordre et de stabilité. Des cycles de croissance et de récession, le capitalisme en a connus beaucoup, depuis le début. C’est d’ailleurs une de ses caractéristiques fondamentales, abondamment étudiée par les économistes. Mais ces cycles se sont toujours inscrits dans une hausse continue à long terme, dont le fer de lance est la hausse de la productivité. Or, toute évolution a une fin. Le progrès ne peut être infini, en premier lieu parce que personne ne le souhaite vraiment. L’immortalité, qui serait le progrès suprême, est inaccessible. Il est significatif à cet égard que la théorie cosmologique en vigueur soit celle du « Big Bang ». Les concepts scientifiques sont souvent homologues aux concepts idéologiques et politiques. Le Big Bang c’est l’expansion infinie. Peut-on concevoir qu’à un certain moment, l’arrêt de la croissance matérielle et la stabilité soient profitables ? Tout en ne niant pas non plus l‘intérêt de certaines évolutions.

 

[comme tous les extraits du Chapitre 1, ce texte est aussi paru dans « Le travail disparait. Profitons-en ! », éditions L’Harmattan, 2023]

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Extrait du chapitre 1 – LE TRAVAIL ET L’ACTIVITÉ

1.2. PASSÉ

1.2.3.  Après l’introduction du travail

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Les conquêtes ouvrières

 

​Dès le début, les travailleurs ont résisté. S’ils ont intégré la valeur-travail, s’ils l’ont admise et valorisée, s’ils ont revendiqué avec acharnement d’en avoir – même les anarchistes – ce n’était pas à n’importe quel prix. La lutte a été constante pour l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail. Autrement dit pour que les ouvriers participent un tant soit peu aux profits réalisés par les patrons grâce à leur travail.

Au début du capitalisme, les ouvriers libres travaillaient 15 heures par jour et 6 jours par semaine. Ce qui faisait des semaines de 90 heures. La journée de travail pouvait aller jusque 17 h. Il y avait énormément d’accidents et de morts, en partie à cause de la fatigue. Il n’y avait pas de vacances et le travail des enfants et des femmes était moins payé. Par-dessus tout, un chômage structurel important contribuait à garder les salaires très bas. Les conditions de travail et de vie étaient effrayantes. Nombreuses sont les enquêtes faites à l’époque sur la condition ouvrière qui en témoignent. Je ne citerai qu’un seul exemple entre mille : la durée moyenne de la vie des ouvriers à Mulhouse en 1827 était de 21 ans et 9 mois ! Un médecin de Lille décrivait ainsi en 1858 les enfants qui travaillaient en usine : « [Les enfants paraissent] des petits vieillards ridés, mous, flasques, édentés, au ventre proéminent et dur, à la poitrine en carène de vaisseau, dont l'ossature faisait saillie, les jambes grêles, le rictus douloureux. » (Les enfants au travail dans les usines au XIXe siècle – ICEM Pédagogie Freinet). Un des grands enjeux de la mise au travail généralisée a aussi été l’enfermement des ouvriers. Les usines se sont vite dotées de hauts murs, avec des portails d’entrées monumentaux et des gardiens. D’ailleurs aujourd’hui encore, on appelle une entreprise « une boîte ».

La résistance ouvrière s’est d’abord faite par des sabotages et par des insurrections générales dans toute l’Europe en 1830, 1848 et 1871. Aussi par la grève qui a été le principal moyen de pression sur le patronat, car atteignant le cœur du processus de production de la richesse. Celle-ci n’est autorisée qu’en 1864 en France. Les syndicats eux, ne sont autorisés qu’à partir de 1884. Tout ce qui s’est passé avant comme grève ou association d’ouvriers a été réprimé sauvagement car considéré comme illégal. Un seul exemple pour montrer la résistance constante du patronat : l’évolution de l’âge minimum autorisé pour le travail des enfants en Grande-Bretagne : 1801 – 8 ans, 1819 – 9 ans, 1842 – 10 ans dans les mines, 1878 – 10 ans partout, 1891 – 11 ans. En France, c’est en 1841 qu’on interdit le travail des enfants en-dessous de 8 ans.

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Nouvelle Révolution

Extrait du chapitre 15 

LES AUTRES 

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15.9. L’extrême droite

Tout mouvement social et politique accompagné d’une idéologie se présente normalement sous deux faces : l’une c’est la critique de la société, l’autre c’est son projet. Le second est en toute logique, lié au premier. Il faut savoir ce qu’on critique et pourquoi et ce qu’on propose pour remédier à ce qu’on critique et comment y arriver.

Commençons par le projet. Contrairement à tous les mouvements et idées que nous venons de citer, l’extrême droite ne propose rien. Ou en tous cas, rien de nouveau. Elle se cantonne au domaine de «valeurs traditionnelles » : famille, religion, autorité, travail. Aucune analyse politique, économique ou sociale. Le « retour » à des valeurs plus ou moins mythiques, ou plus exactement, la survalorisation de certains fondements toujours présents de notre société, contribuerait à régler tous les problèmes existants. C’est comme si à un arbre en train de pourrir, on mettait un corset pour qu’il tienne encore debout. Et que si ça ne marche pas, on renforce encore celui-ci en y mettant des couches supplémentaires. Le problème n’est pas que ça n’empêche pas le pourrissement ou la décomposition. Le problème est que ça ne fait que l’accélérer ! Au lieu que l’arbre puisse encore respirer et éventuellement se régénérer, l’enfermement ne fait qu’aggraver le processus. Ce qui entraîne un cercle vicieux. Qui se termine par l’abattage avec rage de l’arbre qu’on n’a pas réussi à sauver. Mais quand il y a un problème, il est du devoir de l’homme de tenter de le résoudre et il ne suffit pas d’attendre qu’il se résolve tout seul sans corset. Il y a des tas de manières plus intelligentes et efficaces de le faire : lui donner de l’engrais, le soigner, l’élaguer, traiter les alentours, lui faire des prières, ou encore inventer une toute nouvelle manière de le guérir, qui pourra même le faire reprendre de plus belle.

Renforcer des règles de comportement et des valeurs choisies arbitrairement, qui généralement ne sont pas en phase avec la société actuelle, donc sont sans intérêt, et en stigmatiser d’autres (homosexualité, avortement, certaines pièces de vêtement obligatoires, etc.) est une attitude de même nature que celle des sectes religieuses. C’est-à-dire qu’elle amène une très forte emprise venue de l’extérieur sur l’individu, son comportement et ses valeurs. Ce qui rassure ceux qui sont désorientés et mal à l’aise, mais au prix d’une certaine mutilation interne. Parce que ces contraintes s’appliquent en premier lieu à eux-mêmes. Au total, ceux qui adhèrent à cette attitude y trouvent un certain bénéfice. Le problème vient quand ils veulent étendre cette contrainte aux autres, ce qui est une suite inévitable de ce choix. Aux autres qui n’ont rien demandé.

Quant à la critique de la société, elle se limite au procédé du bouc émissaire. Rhétorique vieille comme l’humanité, et qui commence dès la socialisation à l’école avec le « C’est pas moi M’dame, c’est lui ! » quand l’institutrice se retourne pour demander qui lui a lancé la craie. D’où vient cette image du « bouc émissaire » ? Comme beaucoup d’expressions populaires, de la Bible. Elle se trouve plus précisément dans le Lévitique, chapitre 16, versets 7 à 10 : « Et il [le grand prêtre] prendra les deux boucs et les présentera devant le Seigneur, à l'entrée de la Tente d'assignation. Aaron tirera au sort pour les deux boucs : un lot sera pour l'Éternel, un lot pour Azazel. Aaron devra offrir le bouc que le sort aura désigné pour l'Éternel, et le traiter comme expiatoire ; et le bouc que le sort aura désigné pour Azazel devra être placé, vivant, devant le Seigneur, pour servir à la propitiation, pour être envoyé à Azazel dans le désert. » Les versets 21 et 22 précisent : « Aaron appuiera ses deux mains sur la tête du bouc vivant [celui destiné à Azazel] ; confessera, dans cette posture, toutes les iniquités des enfants d'Israël, toutes leurs offenses et tous leurs péchés, et, les ayant ainsi fait passer sur la tête du bouc, l'enverra dans le désert. Et le bouc emportera sur lui toutes leurs iniquités dans une contrée solitaire, et on lâchera le bouc dans ce désert ». Ce qu’il faut retenir de ce texte, en plus du fait que le grand prêtre fait passer les péchés d’Israël sur le bouc en lui imposant les mains sur la tête, ce qui est une opération magique, faite par un geste rituel et des paroles, c’est que les deux boucs choisis au départ sont identiques. Voilà bien l’essence de ce procédé mental : le coupable est identique au non-coupable, c’est-à-dire à soi. Même si on utilise des « marqueurs », des signes pour reconnaître la catégorie de coupables, comme la couleur de la peau, l’accent, le costume, la coiffure, il n’en reste pas moins que ce sont des hommes et des femmes de la même nature que ceux qui les désignent comme coupables. Ils leur font porter la responsabilité de problèmes, par une même opération magique exercée par la parole. Problèmes dont ils ne sont objectivement pas responsables, mais dont on arrive toujours à démontrer la causalité par une chaîne de raisonnements boiteux qu’on présente comme la vérité. Il y a 2.500 ans, Platon s’insurgeait contre les sophistes, qui parvenaient à démontrer et à faire croire n’importe quoi au peuple. La voie la plus courte pour résoudre un problème, c’est d’en accuser son semblable et de le tuer ou de le faire partir. Mais est-ce que ça a déjà une fois résolu un problème ? Pour finir, comme nous l’avons vu avec l’image de l’arbre et du corset, en fin de compte, ça se retourne contre l’accusateur, car il n’y a plus de limite au cercle vicieux.

La seule solution La seule solution que l’extrême droite propose donc aux problèmes de la société, et ce depuis toujours, c’est l’élimination du bouc émissaire. Ou au moins son éloignement. C’est la plus simple des solutions. Elle émerge à chaque fois qu’on n’en a pas d’autre. Et d’une certaine manière c’est compréhensible. En désespoir de cause, quand personne ne propose de solution ou ne propose que des solutions dont on sait après un certain moment qu’elles ont échoué et qu’elles échoueront encore. Et tout le monde n’est pas capable de trouver de nouvelles solutions quand toutes celles proposées ont échoué. On ne peut pas reprocher aux « gens du peuple » quelle que soit leur classe sociale, c’est-à-dire à tous les non-politiques, de ne pas trouver de solution par eux-mêmes. Par contre, on peut reprocher aux politiciens d’extrême droite : 1° d’avoir choisi la facilité ; 2° de proposer une solution par nature inefficace en faisant croire qu’elle va l’être. Je ne demande même pas aux politiques d’avoir des idées par eux-mêmes, mais je leur demande d’en trouver et d’en appliquer des qui résoudront effectivement les problèmes considérés. Avoir des idées et les appliquer en politique peuvent être deux choses différentes.

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