Avec un taux de 10,5% en 2012 dans l’Union européenne, le chômage était une des grandes angoisses de l’époque. Actuellement, avec 5,8 % ce n’est plus une préoccupation majeure. Mais un autre chiffre sur lequel les médias ont toujours été très discrets, c’est celui de la vacance d’emplois, c’est-à-dire l’inverse du chômage, les emplois pour lesquels il n’y a pas de travailleurs. Selon les pays, ce nombre se situe entre la moitié et le quart du nombre de chômeurs. Plus précisément, cela fait 520.000 emplois vacants en France et 180.000 en Belgique à la fin de 2024. Plus précisément, 39.000 postes ne sont pas pourvus dans les services administratifs, 35.700 dans les métiers de l’information et de la communication et 30.900 dans les transports. Les autres secteurs sont en dessous des 30.000. Comment est-ce possible ? On invoque le plus souvent des formations professionnelles qui ne sont pas en adéquation avec les demandes du marché du travail. Mais on oublie que ce sont les « formés » qui choisissent ce qu’ils veulent apprendre. A mon avis, il y surtout deux autres raisons.
Premièrement les mauvaises conditions de travail. Depuis la généralisation du néolibéralisme dans les années 1980, les conditions de travail n’ont cessé de se dégrader : plus d’heures, moins de salaire, plus de dangerosité, moins ou pas du tout de couverture sociale. Avant, les travailleurs résistaient, ils refusaient de telles conditions et ils avaient obtenu après 2 siècles de luttes que les conditions de travail soient devenues décentes. Maintenant plus rien ... La seule réponse c’est le refus de ce travail ! Une grande partie de ces emplois ont été pris par des travailleurs venus d’Europe de l’Est, d’Afrique, d’Amérique latine ou d’ailleurs, qui se sont dévoués pour ainsi satisfaire les patrons et leurs clients. Des secteurs entiers sont ainsi occupés par ces « nouveaux immigrés »[1], comme la construction, la rénovation, la restauration, la prostitution, le gardiennage, l’hôtellerie, etc. Dans d’autres secteurs plus pointus, la vacance n’a pas pu être comblée … Et dans les emplois qui ne sont pas précaires, qui sont « confortables » et déclarés, les burn-out, bore-out et bullshit jobs se sont multipliés. Beaucoup de jeunes sont d’ailleurs dégoutés avant même de commencer. Soit que leur origine sociale les mène vers des travaux précaires et mal payés, soit qu’elle les conduit vers d’autres, vides, absurdes ou sans éthique.
La deuxième raison c’est que pour beaucoup, il y a des choses plus intéressantes à faire que le travail ! Toutes ces choses que vous vouliez faire quand vous étiez enfants, toutes ces choses que vous avez commencé à faire quand vous étiez adolescents, toutes ces choses que vous avez abandonné quand vous êtes devenus adultes. Pour tout ça, vous avez les compétences, la santé et les ressources pour les commencer ou les reprendre ! Et ce qui vous en empêche c’est le temps consacré au travail. Bien sûr, il y a aussi du travail intéressant ou partiellement intéressant. Il ne tient qu’à vous à moduler les heures pour avoir un temps suffisant pour les activités. Mais pour obtenir des diminutions du temps de travail sans diminution de salaire, pour reprendre cette évolution qui avait commencé dès le début de l’ère industrielle, l’action doit être collective.
Du temps des régimes socialistes en Europe centrale et de l’Est, des gens qui quittaient le pays parce qu’ils ne supportaient pas la dictature, on disait « qu’ils votaient avec leurs pieds ». Est-ce qu’une partie des emplois vacants ne le seraient-ils pas à cause des gens qui votent avec leurs pieds ?
[1] Les « anciens immigrés » étant ceux d’une ou deux générations précédentes, qui travaillaient dans les mines et l’industrie, secteurs qui ont disparu.
Le 7 mars 2025
André Vital
Vous trouverez ici un texte sur le même sujet paru dans l’édition de 2018
Chaque semaine un extrait du livre à la page "Découvertes"
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